Daniel Buren : « C’est, c’était, ce sera », et Damien Odoul : « Virtual fight et lymphatique », jusqu’au 19/01 à la galerie Kamel Mennour, 47 rue Saint-André-des-Arts, Paris 6e.
Damien Odoul, « Shadow I, II », Vidéos 16/9, galerie Kamel Mennour 2007. © DR
< 07'01'08 >
Buren et Odoul dans les cordes de la galerie Mennour

Mon premier est un artiste que l’on ne présente plus, une sorte de « pape » de l’art français, mon second ne connaît pas encore la faveur du grand public mais bénéficie d’une rumeur sulfureuse. Mon tout n’en forme pas un, mais investit pour deux expositions quasi asymétriques le nouvel espace de la galerie Kamel Mennour, au 47 rue Saint-André-des-Arts, à Paris. Daniel Buren, né en 1938, n’est toujours pas assagi, à en juger par la polémique qu’il a déclenchée autour des colonnes du Palais Royal, en demandant leur démontage si l’Etat n’était pas capable d’assurer l’entretien des « Deux Plateaux », sans doute son installation la plus célèbre. A la galerie, il propose « C’était, c’est, ce sera », ébauche de redéfinition de la notion d’œuvres in situ qui le travaille depuis toujours. Damien Odoul a fait parler de lui à l’automne avec « L’histoire de Richard O. » (avec un Mathieu Amalric serial baiseur), film explosif qui s’inscrit dans le prolongement d’« Intimité » de Patrice Chéreau , où le réalisateur filme délicatement et subtilement des corps dans leurs douleurs et leurs jouissances. Pour cette exposition, il présente « Virtual fight et lymphatique », étrange et tout aussi subtile installation vidéo.

Où en est la réflexion théorique de Buren ? Après des pièces ancrées dans un modèle prédéfini (utilisation de ruban adhésif) et comptable, celle-ci serait « située in situ » , comme une nouvelle variation autour de ses œuvres antérieures. Un tournant ? A voir, car ses installations jouent toujours de la même dialectique impliquant l’espace et les œuvres, et les réactions de l’œuvre au lieu… Les modifications de perceptions engendrées par ses créations font certes écho à ses productions antérieures. La couleur forme, façonne et déforme l’espace, tronque les perspectives et sculpte irrémédiablement de nouveaux volumes.

Damien Odoul lui, s’empare du sous-sol intitulé « le tube » avec une installation qui plonge dans les corps, leurs musculatures, voire s’immisce entre les imperfections… Et adopte le même ton et le même angle justes pour filmer ses deux boxeurs pendant une séance d’entraînement face à un miroir que ceux utilisés dans les scènes les plus crues de « l’Histoire de Richard O. ». Damien Odoul y trouvait la bonne distance (celle de la pudeur) pour effleurer l’obscène sans jamais basculer du côté de la grivoiserie ou de la pornographie gratuite. Comme s’il avait fait sienne la devise de Cocteau : « La pornographie, c’est l’érotisme de l’autre ». Autour de ce match de boxe, « une histoire qui se construit sous les yeux du spectateur », écrivait Roland Barthes dans « Mythologies », Damien Odoul a conçu tout un dispositif (une affiche, une sculpture, une série de portraits des deux boxeurs, deux vidéos) qui plonge le spectateur dans un affrontement métaphorique. Aussi improbable que l’affiche Fabrice Bénichou versus Brahim Asloum, ces deux monstres de la boxe française ne se sont évidemment jamais rencontrés, le premier ayant raccroché les gants et n’officiant de toute façon pas dans la même catégorie que l’actuel champion du monde mi-mouche.

La dualité à l’image, l’un au short rouge tatoué, l’autre plus frêle, en short bleu, est simple. Le déroulement est identique : les deux boxeurs commencent par travailler leurs gestes sur un sac avant de combattre en face à face avec un miroir. Chacun tente d’anticiper ses propres coups, manière d’incarner littéralement le « je est un autre ». En les réunissant, Damien Odoul offre aux spectateurs un combat sans baston, de pure stratégie et technicité. Et met en avant non leur musculature, mais l’observation, la colère, les assauts rapides qui montent pendant un round…. La panoplie des coups (crochet, uppercut..) de l’un complète, par le truchement de la vidéo, les gestes d’esquive et de défense de l’autre. Ce duel fictif a tout du réel tant l’artiste focalise l’attention sur la retranscription des comportements et attitudes adoptés par ces deux athlètes. Alors même que les deux reflets s’opposent, le spectateur en oublie peu à peu le miroir. Et s’il ajoute « lymphatique » au titre, c’est sans conteste pour jouer sur les contraires, et soulever une autre opposition que la seule activité de ces deux combattants, mués par une tension nerveuse palpable dans les vidéos.

cyril thomas 

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