A l’occasion du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand 2020, du 31 janvier au 8 février, notre focus du jour sur un des 161 films en compétition : « Bonde », d’Asaph Luccas (Brésil), en sélection internationale.
Un trio qui dépote dans « Bonde », en compétition internationale au festival de Clermont, notre choix du jour de l’édition 2020 (capture écran). © DR
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Clermont 2020, le court du jour : « Bonde », la vitalité queer noire au Brésil de Bolsonaro

Clermont-Ferrand, envoyée spéciale

Un état du monde et de la création : c’est la promesse que fait chaque année le Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, dont la 42e édition se déroule du 31 janvier au 8 février 2020. Populaire (165 000 spectateurs en 2019) et aventureux, ce rendez-vous est à la fois un tremplin (Ladj Ly y a été primé pour la version courte des « Misérables » en 2017) et un écrin pour les réalisateurs de courts qui ne tiennent pas à passer au long.

Poptronics, compagnon de longue date, y anime, avec le réalisateur Claude Duty et la critique Claire Diao, les débats Expresso, où les réalisateurs du monde entier viennent rencontrer le public. « Expresso », parce qu’on y boit du café certes, mais aussi parce que l’interview y est courte : 10 minutes par réalisateur. Alors que plus de la moitié des cinéastes sélectionnés vont être soumis à la question jusqu’à samedi prochain, Poptronics en choisit un par jour (seulement…). Le marathon a débuté ce dimanche 2 février, pour 161 films en compétition (sur 9000 inscrits) dans l’une des trois sélections, internationale (80 films), nationale (54) et labo (29).

Alors, cet état du monde 2020 ? Ni très brillant, ni très joyeux, secoué par les questions d’identité, de frontières et de nationalismes. Bien des films sont sombres, caustiques et reflètent la planète telle qu’elle va mal. Désespérant ? Pas tout à fait, et c’est cette voie médiane qu’on a choisie pour le premier court du jour : « Bonde » est un film solaire sur une réalité pourtant plus que difficile, celle d’une communauté LGBTQ noire au Brésil. Un trio de jeunes noirs (lesbienne, trans, queer) de la favela Heliopolis, à São Paulo, descend au centre ville pour faire la fête.

La bande-annonce n’est pas sous-titrée, mais elle dit bien l’énergie vitale qui se dégage de cette amitié queer.

« Bonde », Asaph Luccas, Brésil, 18’, 2019 (bande-annonce) :

Réalisé par Asaph Luccas, qui évoque au micro à Clermont l’aventure du tournage, « Bonde » est un film choral porté par le collectif Gleba do Pêssego, qui partage la même expérience : « Nos vies sont pleines de discrimination, celle d’être queer dans la favela et celle d’être noir au centre ville. »


Asaph Luccas aux rencontres Expresso, le 2 février 2020. © poptronics

Ce constat est le point de départ d’un film puissamment vital : i-el-s sont ami-e-s, vivent et démontrent par ce film que la musique, la danse, l’échange via les réseaux sociaux et leur volonté de vivre leur identité sont plus fortes que toutes les discriminations. « On ne voulait pas faire un film triste qui se termine par la mort de quelqu’un, on voulait faire un film pour nous sur nous », dit Asaph.

Et si dans « Bonde », la personne trans doit repousser au lycée un blanc-bec qui pour la première fois lui adresse la parole parce qu’il prépare un sujet sur les trans, si le jeune gay raconte ses mésaventures grossophobes sur Tinder, c’est pour gagner en force. Quand i-el-s se retrouvent, prennent le bus, provoquent gentiment le péquin brésilien moyen, c’est pétillant, léger et jamais lourd.

La façon de filmer alterne des prises de vues réalistes de leur environnement familial ou local, des séquences plus clippesques quand i-el-s dansent la nuit, des insertions graphiques d’échanges Whatsapp. La caméra se fait tendre quand elle les suit au petit matin, comme si ces changements de rythme étaient au diapason de leurs vies caméléon. Même quand i-el-s croisent une patrouille de police pas franchement avenante, le scénario évite le sordide : l’humiliation du pouvoir LGBTQphobe est transformée par l’ajout à la scène de tutos qu’i-el-s réalisent pour faire face à ce genre de situations. Pour et par la communauté.

Si Asaph Luccas admet l’influence des « vidéoclips et de la culture funk brésilienne venue des favelas » dans ce style pétulant, il précise que « le film est multimédia pour parler de notre relation à Internet, qui est un peu notre safespace à nous ». « Bonde » prouve que la communauté queer noire brésilienne est créative, inventive, habile. Ce qui ne veut pas dire que la partie est gagnée. Bolsonaro, avec sa politique raciste et homophobe, a coupé toutes les subventions possibles en soutien à la création, rappelle Asaph. N’empêche, « Bonde » est à Clermont et cette visibilité mondiale est le meilleur pied de nez à tous les Bolsonaro du monde.

annick rivoire 

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