Le point sur la compétition Labo 2009 du 31e Festival International du Court Métrage de Clermont Ferrand, du 30/01 au 7/02.
The Control Master, de Run Wrake (2008), emblématique de la sélection Labo 2008 : caustique, référentielle et animée. © DR
< 05'02'09 >
Clermont 2009 redessine le réel au Labo

Le court ne connaît pas la crise. Clermont 2009 bat son plein, remplissant ses salles d’aficionados des formes courtes en tous genres. Chez poptronics, accro depuis longtemps à la section Labo, celle des formes bizarres et hybrides, on aime ce mélange popu-pointu qui fait le sel de cette manifestation où les paillettes de Cannes semblent très lointaines. Voilà huit ans désormais que Clermont offre, en parallèle à ses sélections nationale et internationale, une compétition Labo, « terrain d’exploration riche en aventures visuelles innovantes et inédites ». Bousculé à l’époque par la génération de petits génies de la palette graphique et du multimédia qui fabriquaient à la maison leurs fictions sans même se préoccuper des circuits classiques de diffusion du cinéma, Clermont a eu le nez creux en appelant cette section « Labo » plutôt que « numérique ». Certes, aucun des bouleversements de la décennie passée n’aurait été possible sans la révolution numérique. N’empêche, la sélection du 31eme festival clermontois échappe définitivement à cet unique critère. On en veut pour preuve la déferlante de l’animation, tendance qu’on avait déjà pointée l’an passé. Sur 43 films Labo, 22 relèvent en 2009 des techniques issues du dessin animé.

Les réalisateurs du Labo mixent et remixent tout avec brio : dessin, illustration classique et compositing, super 8 et effets spéciaux, avec une prédilection pour des formes cinématographiques qui rendent hommage aux débuts de l’animation et au documentaire. Comme si l’abstraction du dessin venait appuyer une narration la plus concrète qui soit, de type documentaire. Ce jeu de contraires qui s’attirent permet de continuer à surprendre dans le flot d’images (virtuelles, réelles, subjectives, truquées…) qui a furieusement tendance à tout recouvrir (voir à ce sujet l’analyse éclairante de Jacques Rancière dans « le Spectateur émancipé »).

Surprendre avec sans doute moins d’esbroufe technique, plutôt par le récit, les effets sonores, le décalage aussi : la musique blanche de Justice sur les images de banlieue clichés filmées par Romain Gavras dans « Stress » par exemple, ou encore les emprunts à l’imagerie publicitaire dans « The Control Master » de Run Wrake (2008) pour une satire des sociétés de contrôle.

Tous ces réalisateurs ne sont cependant pas de géniaux dessinateurs. Ils ont en commun d’utiliser des outils numériques qui facilitent tous les états de l’image : avec un ordinateur et des logiciels de modélisation de plus en plus simples, le cinéaste de formes courtes peut appliquer des filtres (cell-shading) pour approcher la patine du dessin animé classique, ou composer son image comme il l’entend (un décor réel en fond, un personnage 3D au premier plan, et dans le coin à gauche un dessin naïf), la déformer et l’étirer en deux clics de souris (là où il fallait des heures de travail sur les cellulos avant l’ordinateur) pour juxtaposer ou faire une synthèse d’images. Et peut aussi jouer des effets de montage sans réserver un laboratoire (et le budget qui va avec). Dans la sélection 2009, si le footage semble passé de mode (un seul film, « Teaching the Alphabet », de Volker Schreiner), l’animation façon flipbook résiste (l’excellent « Yellow Sticky Notes », de Jeff Chiba Stearns, variation sur le Post-it et la To-do liste vécus comme un carcan, et le non moins brillant « Black Dog’s Progress », de Stephen Irwin).


« The Black Dogs Progress », Stephen Irwin, 2008 :


Autre explication à cette vague d’animation : les films Labo attirent naturellement davantage de projets d’écoles que les autres compétitions, qui elles aussi sont plus diverses. De la Poudrière à Valence en passant par le Royal College of Art de Londres, les filières d’apprentissage des techniques de cinéma se sont ouvertes : les réalisateurs en herbe sont plutôt d’apprentis artistes, autant à l’aise avec le crayon que la souris, baignant dans une culture visuelle mixant art et musique, clips et internet, vieilles séries télé et patrimoine hollywoodien. Ils s’inspirent aussi bien des pères du dessin animé type Emile Cohl que des héros de cartoon conçus par Tex Avery ou Chuck Jones.
Leurs sources d’inspiration s’émancipent aussi largement du seul champ cinématographique : la télévision (vision cauchemardesque d’hommes-écran décérébrés dans « Ona Koja Mjeri », de Veljko Popovic, un premier film déjà primé par la critique à Annecy 2008), la danse (« Danse macabre », de Pedro Pires et « Cartographie 9 : la Boule d’or », de Bruno Deville), le sport (« Saltos », de Gregorio Graziosi), le handicap (« Lydskygger », de Julie Engaas et « Orgesticulanismus », de Mathieu Labaye)…

« Orgesticulanismus » un premier film brillant du Belge Mathieu Labaye, 2008 :


Graphiquement, c’est un fabuleux cocktail d’influences, de Norman Rockwell et son style reconnaissable entre tous qui signe les années 50 (« Chainsaw », de Dennis Tupicoff, primé en Espagne, mixe un hommage à cette imagerie 50’s au cinéma de la même époque) jusqu’aux plus récents graffiti-artistes. Blu, l’artiste de rue italien qui peint des figures grotesques et monstrueuses sur les murs et les anime ensuite en stop motion, a été sélectionné pour Muto (muet) dont on vous disait le plus grand bien à sa mise en ligne. A sa manière, Blu fait le grand écart stylistique entre une forme artistique ultracontemporaine, l’art urbain, et les techniques pré-cinématographiques façon rotoscopie.

« Muto », de Blu, 2008 :


Alors, en dépit du bunker architectural affreux qui abrite ce 31ème festival, du froid et de la neige, les spectateurs en famille attendent patiemment le long de files interminables pour découvrir ces cinémas africain, néerlandais, islandais ou japonais. Ici, les journalistes n’ont pas de traitement de faveur : à la queue comme tout le monde. Ici, les réalisateurs et producteurs se mélangent aux festivaliers, sans apparat chic. Une qualité humaine qui tient à peu de choses, une équipe soudée, une certaine idée du cinéma « vivant et imaginatif », qui fait tout le sel de Clermont.

annick rivoire 

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< 3 > commentaires
écrit le < 05'02'09 > par < hubabad UP6 hotmail.com >
Oh la belle Pub ! Tout est donc si bo o pays du labo ^^’
écrit le < 06'02'09 > par < annick.rivoire LYe poptronics.fr >

Ô la critique fastoche !

Pour faire cette "pub", j’ai regardé la sélection Labo 2009. Toute la sélection Et vous ? Il se trouve que je suis attentivement ce festival depuis la mise en place de la sélection Labo. J’ai pu voir certains festivals soi-disant plus prestigieux se vautrer lamentablement dans le numérique pour faire genre. Cannes par exemple, qui s’est vite fait débarrassé de cette incongruité.

Alors sans doute qu’il y a des films moins bons que d’autres, certains qui sont franchement limite, comme dans tout festival qui se respecte.

Je respecte néanmoins la continuité artistique de cette section Labo. La pub, c’est "vendre" un truc avec n’importe quel argument, je ne crois pas qu’ici on vende quoi que ce soit.

Merci quand même du commentaire.

écrit le < 07'02'09 > par < hubabad reB hotmail.com >

Très facile je l’avoue !

J’ai pu aussi apprécier dans son ensemble la sélection 2009, et sa variété est certes à louer. Cependant, dire que certains films ne sont "plus" à leur place dans cette sélection n’enlève rien à la qualité de celle-ci, c’est un questionnement légitime à l’heure actuelle. Aussi, et bien que je reconnaisse l’intérêt de mettre en avant certaines évolutions techniques, on ne peut s’en suffire. Du même coup, la sélection à aussi cela d’intéressant : dresser un panorama général de la création actuelle - programmer n’est jamais simple, c’est évident.

Bref, je pense qu’ajouter quelques bémols à certains traits de la sélection n’est pas un acte gratuit, mais peut être utile au débat et l’alimenter de manière constructive... continuer d’avancer.

Désolé pour le mot "pub", je ne le voulais pas aussi provocateur :)