Le projet de loi anti-piratage Hadopi n’est pas encore adopté par l’Assemblée (qui commence à l’examiner en urgence cet après-midi). L’opposition du Net, désormais relayée hors réseau, commence à porter ses fruits.
Une interprétation des bannières Black Out sur le site d’un internaute codeur.. Plus de 2000 sites participent à la campagne lancée par la Quadrature du Net. © DR
< 11'03'09 >
« Cinq gus dans un garage » qui plombent le projet de loi Hadopi

Ce devait être plié en urgence, comme nombre de projets de loi examinés ces derniers temps par le Parlement. C’est en passe de se transformer en Bérézina gouvernementale. Le projet de loi Création et Internet (ou Hadopi) est examiné aujourd’hui à l’Assemblée, après un report de 24 heures (dû à la surcharge du calendrier parlementaire) et avant d’y revenir plus longuement à la fin du mois.

Des « gus » et un black out du Net

Depuis quelques jours, les manœuvres vont bon train de part et d’autre, l’escalade verbale des pro et anti-riposte graduée prend des tours effarants, où l’on voit une ministre de la Culture de plus en plus à la dérive tenter d’étouffer la révolte dans l’œuf, en traitant les opposants au projet de « cinq gus dans un garage ». Belle erreur de communication : en ligne de mire, la Quadrature du Net, association de défense des libertés publiques qui a initié l’opération « Black Out » (bannières noires sur la Toile et lettres aux députés), y gagne en légitimité (et peut se comparer aux success story du Net et d’ailleurs, les légendes, de Microsoft à Apple en passant par les Beatles, se construisent souvent ainsi, à partir d’une bande de potes dans un garage…).

Cette escalade était prévisible : après son passage éclair au Sénat en novembre, le projet de loi qui met en place la riposte graduée contre le téléchargement illégal (première étape, on te prévient, tu arrêtes les conneries, deuxième étape, attention on va te couper l’accès au Net, troisième étape, ton fournisseur d’accès t’interdit l’accès au Web…) rencontre enfin l’opposition du Parti socialiste (qui a décidé de voter contre, donc).

Des tombereaux de critiques

Il faut dire que depuis l’origine de cette loi (et même depuis le combat contre le précédent projet, la DAVDSI), les lignes ont sensiblement bougé. S’il est toujours question du droit d’auteur à l’heure de la société de l’information, l’opposition simpliste des internautes « pirates » aux artistes « spoliés » a fait long feu. Auprès des internautes, d’abord, qui téléchargent encore massivement sans se sentir coupables et continuent de le faire malgré les discours alarmistes et les campagnes de communication agressives du gouvernement et des industries culturelles. Grâce à l’opposition constante également des associations de consommateurs, qui, hier mardi, jour prévu de l’ouverture des débats, ont redit publiquement leur refus d’« un projet répressif et stigmatisant pour les consommateurs alors même qu’il existe des moyens de financement des artistes bien plus innovants », côté UFC Que Choisir, et réaffirmé que « le choix de l’examen en urgence de ce texte montre à quel point les pouvoirs publics souhaitent éviter un débat de fond sur ce sujet qui touche certes les industries culturelles, mais également l’ensemble des citoyens », côté CLCV.

Et puis, l’argument économique (la vente de disques s’effondre), est l’objet de nouvelles critiques : les revenus de la filière musicale se sont reportés sur les concerts live ou la vente en ligne au morceau (1,4 milliard de singles numérisés, soit un titre sur cinq, ont été vendus en 2008 dans le monde selon l’IFPI, et Universal affiche une croissance de 31% de fichiers numérisés vendus en 2008…), l’affaire Napster remonte à une dizaine d’années et le procès du moment en Suède contre The Pirate Bay a tourné à la déconfiture totale… Bref, les temps ont changé, on ne peut plus berner les internautes sur cette soi-disant atteinte aux revenus des artistes.

Retournement de tendance

Le Parti socialiste vient enfin de prendre une position commune d’opposition au projet de loi. Il était temps : le ralliement des Tasca et Lang aux sirènes de l’industrie culturelle, au nom du droit d’auteur, avaient terni l’image d’un parti défenseur des libertés publiques (cf. son Livre noir, fort opportunément sorti ce mercredi). Le positionnement fort de Jacques Attali, sur son blog lundi, qui taxe la loi de « scandaleuse et ridicule » pour ressortir de son chapeau la licence globale, est un autre signe de ce changement d’atmosphère…

Et comme les choses semblent se gâter pour le gouvernement qui craint de ne plus avoir une majorité franche sur la question (les jeunes du Modem ont pris position contre, comme le jeune député UMP Lionel Tardy…), il manœuvre pour rallier le maximum de « people » à sa politique.

Paquet d’initiatives pour « tracer » les députés

Mais le vent de la révolte souffle en ligne : des milliers de sites, blogs, et comptes Facebook ou Twitter affichent, grâce à la boîte à outils de protestation de la Quadrature du Net, leur opposition au projet. Pour visualiser l’ampleur du « Black Out », la Quadrature propose une sorte de mur de sites en berne et affiche plus de 2.300 sites inscrits sur le Wiki. Certains y vont de leur propre création, comme ici ou . D’autres, activistes chercheurs, ont développé et mis en ligne une plate-forme de débat participatif, sorte de mash-up d’applications qui permettront aux internautes de « vidéosurveiller en direct de l’Assemblée nationale, les prises de positions de chacun de leur député » et aux parlementaires de comprendre que « cette parole en colère est située sur le territoire, qu’elle ne provient pas d’une quelconque sphère virtuelle déconnectée de la réalité du terrain », grâce à la géolocalisation de chaque message diffusé sur Twitter (la plate-forme de microblogging). « API’s vs Hadopi » (en développement) mixe Twitter et Google Map et de la Timemap (du javascript), histoire de montrer que les API, des interfaces de programmation (Application Programming Interface) sont un des principes de développement de l’économie numérique auquel le projet Hadopi s’oppose. Autre mouvement d’internautes (journalistes, blogueurs, activistes), le Réseau des pirates propose quant à lui un pacte des libertés à faire signer à tous les parlementaires.

Un pique-nique sonore sous les fenêtres d’Albanel

La Quadrature, encore eux, conseille d’aller prendre son ticket pour participer aux débats à l’Assemblée et ainsi « tracer » son député. Les « artisans » du réseau d’Internet mon amour (dont poptronics fait partie) proposent quant à eux un pique-nique sonore sous les fenêtres de Christine Albanel, dans les jardins du Palais Royal à la fin mars, juste avant le vote, avec petits pains et artichauts (spéciale dédicace à Coluche : « Les artichauts, c’est un vrai plat de pauvres. C’est le seul plat que quand t’as fini de manger, t’en as plus dans ton assiette que quand tu as commencé ! »). Les mêmes avaient organisé en septembre une pétition d’artistes et de créateurs (du Net et d’ailleurs, de l’art contemporain et de la musique, des graphistes et des archis) appelée « Téléchargez-moi » : les 86 premiers signataires (plus ou moins célèbres et « bankables » à la différence des signataires des pétitions orchestrées par le ministère de la Culture ou les industries culturelles et parues avant l’été dans « le Monde » et le « Journal du dimanche ») ont fait tache d’huile et ce sont près de 600 personnes qui demandent au gouvernement de revoir sa copie.

Rififi chez les Kosciusko-Morizet

Cerise sur le gâteau, l’opposition du frère de la secrétaire d’Etat à l’économie numérique au projet Hadopi rajoute une pierre dans le jardin de Christine Albanel. L’Acsel, association française pour le commerce et les services en ligne, présidée par Pierre Kosciusko-Morizet, PDG de Price Minister, a réclamé mardi un « moratoire de six mois » pour la suspension de l’accès à Internet prévue par le projet.

Quand on vous dit que rien n’est plié et que tout est possible... Pour finir de vous en convaincre, une lecture nécessaire, celle de la lettre qu’envoie ce mercredi à tous les parlementaires l’artiste Agnès de Cayeux, où elle s’emploie à expliquer pourquoi « les auteurs et les producteurs du projet de loi ignorent également ou bien méprisent ouvertement l’histoire écrite par les artistes, l’histoire de leurs droits, celle du cheminement de leurs œuvres à donner à l’autre et celle de l’exercice de leurs pensées ». A télécharger ici-même.

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annick rivoire 

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