Septième épisode (bis) des « Chroniques du Zadistan », par Francis Mizio, écrivain nantais qui n’a jamais mis les pieds à Notre-Dame-des-Landes. Notre chroniqueur du dehors de la ZAD répond ainsi à la belle histoire de Greg le fugitif contée ici-même par Alain Le Cabrit tout juste avant que l’actualité ne remette les zadistes au-devant de la scène politique.
Un militant environnementaliste a déposé la marque ZAD… Bientôt des bottes ZAD™ dans les magasins ? © zad.nadir.org
< 14'11'14 >
Chronique du Zadistan (7 bis) : c’était une tache, voici que c’est une marque

La fable de Greg le fugitif, nous l’avions exceptionnellement sortie de la norme des Chroniques du Zadistan, qui proposent, hors actualité brûlante, un double regard, du dedans et du dehors, sur l’utopie en marche à Notre-Dame-des-Landes. Sans nous douter que l’actualité allait brutalement remettre sur le devant de la scène nos zadistes. Alors que le pays gronde suite à la mort de Rémi Fraisse à Sivens, Francis Mizio, écrivain nantais, prophétise un avenir logotypé à la ZAD.

(Nantes, correspondance)

Chronique du dehors, par Francis Mizio
Oyez, oyez, ceci est ma parole

Il fut dit que la ZAD sera partout, et ces mots furent vrais. Elle sera sur des T-shirts et des casquettes, sur des sous-bocks et des mugs, des chaussures de sport et des sacs à dos, sur des disques et des blagues à tabac, des cirés fashion et les poussettes 4x4 pour progéniture de jeunes cadres manifestants, aisés ressortissants d’un sociostyle porteur pour le commerce.

La ZAD™ est depuis peu une marque déposée tout comme zadiste™, Notre Dame des Landes™, NDDL™, Zone à défendre™, Zadiste de Notre Dame des Landes™. C’est un militant « environnementaliste », René Leblanc, ex-directeur régional de l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) qui, sans doute sous influence de son passé, et apparemment dans un souci de contrôle de l’usage de ces termes, les a déposés pour les « vêtements, chaussures, savons, parfums, dentifrices, bijoux, sacs, portefeuilles, papeterie, jeux d’argent, activités sportives et culturelles ».
Ouest France du 10 novembre dernier, qui trouve l’idée « rigolote » ajoute : « Si la fabrication est française, si les produits correspondent à l’esprit [des] luttes environnementales et si les bénéfices sont reversés à des projet de développement durable, il ne s’interdit rien [en terme de possibilité de commercialisation]. »

Oyez, oyez voici ce que je dis
Je dis que vouloir la révolution en déposant son nom à l’INPI est une acrobatie pire que celles nécessaires pour monter une cabane dans les branches. Je dis qu’employer les armes de la marchandise pour conserver un terme « qui est train de prendre de la valeur » ; qui est un « symbole de la résistance aux valeurs économiques » pour marquer son refus du capitalisme, pour promouvoir la décroissance, pour nommer la révolution ou du moins l’insurrection qu’on nous dit à venir est s’accorder de contradictions rarement décelables dans la radicalité.

Oyez, oyez voici ce que je sais
Je sais que le « Summer of love » fut utilisé pour la publicité d’une assurance vie, je sais que le portrait de cet asthmatique de Che orne des cigarettes, je sais qu’Imagine de Lennon et toute l’iconographie de Mai 68 servent à vendre n’importe quoi, je sais qu’on revendit des pavés lors des commémorations de Mai 2008. Je sais que les ayants-droits de « l’Internationale » réclament parfois leurs sous. Je sais aussi le green washing. Je sais aussi qu’il y a des masters en business humanitaire. Je sais aussi que quand liberté j’écris ton nom, j’écris forfait de téléphone.

Oyez, oyez, voici ce que je vois
Un jour tu t’habilleras en ZAD™, avec ton petit top NAF-NAF™ –tu sais les cochons élevés en plein air–, ton pantalon NDDL™ et tes bottes GORE-TEX™ pour participer à une session de TAZ (Tourisme d’activités zadistes™). Mais si tu n’es que soutien de la cause, en T-shirt Zone à défendre™ et en jeans Notre Dame des Landes™ denim délavés garantis déchirés en usine au tonfa après ta soirée de comité écocitoyen ou d’atelier climat, tu pourras dîner d’un exotique zakouski à défendre bio, tout-à-fait ZAD™ light.

Oyez, oyez, voici ce que je crois
Je crois que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Je crois que M. Leblanc est sincère et que s’il commercialise ses marques, il ne fera pas travailler d’enfants pakistanais interdits d’école, d’ouvriers chinois aux poumons brûlés, d’Indiens bientôt écrasés par des plafonds d’immeuble. Il ne prendra pas de stagiaires, même conventionnés. Il refusera de faire même travailler des bénévoles. Il créera des emplois en France, cette nation innovatrice dont le génie enfanta la ZAD™. Les meubles du contremaître proviendront d’Emmaüs ou de la ressourcerie, et à la cantoche, il y aura des panais dans le menu spécial pour locavores.

Je crois que s’il commercialise sa marque, il reversera bien l’argent à des associations, des organismes de développement durable, à des luttes environnementales et des caritatifs. Je le crois volontiers. Il sera même aidé par un programme européen et un second, régional, d’aide à l’Economie Sociale et Solidaire. Challenge fera alors sa Une sur « Commerce rebelle : l’inattendu marché en plein essor » en prenant soin, par souci d’économie ou crainte d’une action juridique, de ne pas utiliser les mots protégés.

Je crois aussi que cela créera des postes de commerciaux persuasifs empreints de l’esprit authentique NDDL™, de graphistes créant des pubs et des plaquettes sur papier recyclé. Et des jobs de manutentionnaires pour étudiants en green business, et des emplois de chauffeurs livreurs, en camion diésel.

Je crois aussi que René Leblanc comme Max Havelaar™ et d’autres commenceront à faire sourciller, voire qu’ils se feront chipoter leur gestion leur fonctionnement, sinon les conséquences imprévues induites de leurs actes au départ bienveillants. Après tout, ces Zadistes™ qui ne font que de la ZAD™ à temps plein pour garantir l’origine contrôlée : était-ce, somme toute, leur vocation initiale ? On craindra que les ZAD™ ne deviennent des écomusées, ou des lieux tel Laguiole™.

Je crois qu’il y aura des différends. Je crois que l’argent viendra corrompre les anges gardiens des tritons et de la renoncule à feuille d’ophioglosse. Je crois qu’il y aura un jour des abus, des dérapages et des détournements dans des antennes, des franchises, à l’occasion de montages financiers, ou de paiement à terme.
Je crois que quelques-uns descendus de leurs arbres, sortis de leurs champs, de leur ferme, de leurs tentes, voudront réclamer leur part. Je crois qu’il en est toujours ainsi.

Je crois que les plus sincères zadistes™ peuvent être aujourd’hui perplexes, sinon navrés. Je crois qu’ils n’ont pas envie d’être des hommes sandwichs, porteurs d’une marque, plutôt que d’idées ou d’alternatives. Je crois qu’un jour, ils s’opposeront au dévoiement.

Je crois, en outre, qu’en la matière rien n’est contrôlable : qui financera les procès pour contrefaçon intentés à ce Turc faussaire, moustachu et laborieux, ou à ce Chinois fourbe et sans scrupule ? Et puis, je crois qu’il y aura toujours de petits malins pour contourner la contrainte. Je crois ainsi qu’il faudrait déposer Zone humide, en catégorie cinéma porno. Car je crois que cela finira bien par arriver.

Oyez, oyez voici ce que je devine
Je devine que l’argent du ZAD™ business devra être géré étroitement et qu’il faudra donc entrer dans un processus de développement pour les salaires, pour la logistique et la distribution. Et puis il faudra s’acquitter des taxes, charges, impôts, car ce satané système capitaliste honni est sans pitié. Je devine qu’alors des choix s’imposeront. Je devine qu’un jour un fouille-merde plumitif sous payé, zoïle même, trouvera des couvertures de survie pour Zone à défendre™ chez un grossiste en matériel de camping, et fabriquées à Shenzen dans des ateliers sans syndicat, ni convention collective, ni aération.

Oyez, oyez voici ma prophétie
Je prédis que le nouvel aéroport NDDL™, avec son nouveau permis de construire, proposera en 2030 dans la galerie de duty free une boutique ZAD™ nostalgia près de son espace naturel recomposé et compensatoire. On y fera des selfies devant la vitrine avant d’embarquer.
Je prédis que des historiens, des archéologues, des sociologues et autres bêtes en ogue se pencheront sur l’histoire des ZAD™. Je prédis qu’ils diront : « Ce fut un prurit, en l’absence d’intérêt pour la politique habituelle. » Je prédis qu’ils diront : « Le message zadiste™ devint confus, puis perdit de son sens. » Je prédis qu’ils diront que « les chocs politiques suivants remisèrent un temps les préoccupations écologiques immédiates qui faisaient office de palliatif. » Je prédis que zadiste™ connotera autant que celui de soixante-huitard (marque non déposée ; terme à la valeur désormais négligeable).
Je prédis qu’on retrouvera tout le bazar, les fringues, les colifichets, les pompes et les gourdes, les tentes igloo et les jouets dans des vide-greniers, des vide-fringues. Des artistes les récupèreront. On recyclera ainsi, après le nom, les choses.

Oyez, oyez
J’aurais pu me moquer, aussi.

francis mizio 

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