A l’occasion de la mise en kiosques ce 15/09 du tout nouveau tout beau magazine MCD-Poptronics « Game Over Culture » (9€, 120 pages bilingue français anglais), Poptronics vous offre en exclusivité l’un des reportages de ce magazine papier : à New York, la nouvelle scène des jeux indé s’amuse au fond des caves de Babycastles.

Pour accompagner la sortie du magazine en kiosques, une conférence est organisée à la Gaîté lyrique le 22/09 à 19h, animée par Annick Rivoire, rédactrice en chef invitée de Game Over Culture, avec notamment Mathieu Triclot, auteur de Philosophie des jeux vidéo (éd. Zones-La Découverte, 2011) et Jean-François Rodriguez, directeur de l’unité jeux d’Orange, autour de la thématique : Le jeu vidéo après Fukushima.

Entre salle d’arcade et espace d’exposition, Babycastles et Future Babycastles à New York mettent à l’honneur les jeux alternatifs. © Cherise Fong
< 15'09'11 >
Babycastles, à la recherche de la nouvelle arcade

(New York, de notre correspondante)

Ils bricolent de vieilles consoles, imaginent des jeux à deux doigts ou font s’affronter Jésus et des dinosaures. Les adeptes d’un rétrogaming éclairé et proactif se retrouvent à New York chez Babycastles. À l’Est de Manhattan, dans le quartier furieusement hipster de Brooklyn nommé Williamsburg, des touffes de jeunes débordent sur le trottoir sur Kent Avenue, cigarette à la bouche. Derrière la modeste porte grise qui mène au sous-sol du bâtiment industriel, la dernière incarnation de la «  nouvelle arcade  »  : Future Babycastles.

Le lieu ressemble à l’espace brut d’une galerie underground, avec ses murs de briques repeints en blanc. Près de l’entrée, le tofu épicé se vend trois dollars l’assiette. D’un grand rideau noir où se dresse le bar proviennent des sons de chiptunes, confirmant que l’after du festival Blip honore ce jour-là les stars du label Hexawe, en guise de clôture de la manifestation des amateurs de musiques issues du jeu vidéo.

Entre chaque set, les fans émergent du noir pour explorer l’arcade. Aménagée comme un petit jardin entouré d’une clôture basse en bois, l’exposition prend la forme familière de cabines de jeux aux décorations ludico-kitsch abritant de vieux PC bricolés. Une fille au bandeau bleu empoignant des deux mains une manette Nintendo manipule avec finesse les personnages volants de « Miracle Adventures in 2113 », un jeu de Noah Sasso. Un garçon reste cloué devant les circuits zombies de « Hot Throttle », de Cactus et Doomlaser. Un groupe d’amis se bat dans « Jesus vs. Dinosaurs », de Petri Rurho. On aperçoit le musicien 8 bits cTrix en train de hacker le jeu Press Any Key d’Adam Saltsman, qui nargue la patience du joueur au clavier. Le seul jeu 3D de l’expo, celui d’Ivan Safrin, consiste à simuler à l’aide d’un joystick Atari l’action d’une vidéo YouTube dans laquelle un jeune homme conduit un 4x4 muni d’un drapeau américain en tirant en l’air avec un pistolet  : « Osama’s Dead, Baby ». Mais le jeu le plus spectaculaire reste le « Bit Pilot » de Zach Gage, projeté au mur, qu’on manipule via deux pouces sur le trackpad d’Apple. Dommage que l’ambiance du lieu rende la bande-son de Sabrepulse presque inaudible…

« Miracle Adventures in 2113 », de Noah Sasso :

« Bit Pilot », de Zach Gage :

Ouvert le 17 mai 2011, Future Babycastles est le deuxième lieu permanent de l’arcade avant-garde conçu par Kunal Gupta et Syed Salahuddin, deux développeurs de jeux qui se sont rencontrés à New York University. La première occurrence de Babycastles, inaugurée en décembre 2009 pour coïncider avec le festival Blip, siège au sous-sol de Silent Barn, un lieu dédié à la musique indépendante, dans le Queens. Le concept  ? Animer un espace physique à petit budget réservé aux jeux indépendants, ce qui permet à n’importe qui de les découvrir et surtout, de les jouer dans un contexte social, en compagnie réelle d’autres joueurs. Résultat, cette nouvelle génération d’arcade indépendante donne lieu à une culture avant-garde de jeux artisanaux dans une ambiance rétrocyberpunk.

Contre la préciosité

«  Quelle est la façon la plus appropriée d’exposer les jeux vidéo  ? C’est la salle d’arcade, explique Syed, qui en profite pour critiquer la préciosité de l’espace galerie traditionnel. Les jeux y sont souvent exposés comme des tableaux accrochés au mur. Personne n’ose les jouer parce qu’on ne touche pas à l’art au musée.  » «  Pour lancer Babycastles, raconte-t-il. Nous nous sommes inspirés du collectif canadien Kokoromi qui organisait chaque année des fêtes sous forme d’arcade. Il n’existait pas d’arcade permanente pour les jeux indé. Lorsque Silent Barn nous a invités à le faire de façon permanente, nous n’avons pas hésité  : nous avons récupéré le plus possible d’objets et construit nos propres bornes de jeux.  »

Aujourd’hui, Babycastles applique le modèle économique de la musique DIY aux jeux indépendants  : chaque visiteur verse une petite contribution à l’entrée pour soutenir une communauté d’artistes qui bricolent des jeux chez eux, en attendant un éventuel contrat de distribution. Environ la moitié de ces contributions est directement versée aux artistes, le reste étant attribué à l’administration et au maintien de l’espace. Pas de publicité, que du bouche à oreille et les réseaux sociaux. L’arcade est ouverte au public les soirs de concert, soit plusieurs fois par semaine. Si en principe les gens viennent pour la musique, ils restent pour les jeux.

Couture sanglante

Ce samedi soir, c’est la fête à Silent Barn. Le lieu se trouve sur la longue avenue Wyckoff, derrière une porte seulement indiquée par le numéro 915. À l’entrée, la contribution fixée à 5 dollars est à verser dans le bec d’un perroquet. Lumière naturelle, murs peints de couleurs vives, un ou deux vélos, un vieux piano, des canapés en hauteur. On aperçoit aussi les chambres de Kunal et Joe Ahearn, programmateur musical du lieu.

Mais la musique est pour plus tard. Ce soir, de 18 à 20 heures, sont à l’honneur des jeux créés par les équipes d’étudiants d’une prestigieuse école de design, la Parsons New School for Design. On circule librement parmi les jeux exposés, on regarde, on joue, on en discute. Sur une table basse au milieu de la pièce, le commissaire de Parsons montre un jeu de société entièrement analogique qu’il a conçu pour susciter une réflexion sur l’engagement ludique et l’interaction entre joueurs dans l’espace réel. Plus loin, un garçon et une fille partagent un seul contrôleur pour jouer à « LO and VE », un jeu de collaboration géométrique conçu en 48 heures lors du dernier Babycastles Game Jam. D’autres s’amusent à jouer à la couture sanglante de « Sweatshop Superstar » grâce à l’accéléromètre d’un iPod. Contrairement aux jeux à succès de Zach Gage, ancien élève de Parsons, ce jeu est toujours en attente de distribution, ayant été rejeté quatre fois par l’App Store, selon ses deux auteurs.

Pendant que certains montent à l’échelle pour aller fumer sur le toit, la fête se poursuit en musique, au sous-sol, dans un espace enfumé et claustrophobe éclairé au néon. On retrouve ici les bornes de jeux bricolés propres à Babycastles. L’une d’elles abrite un petit jeu de Jess Haskins intitulé « Super Art Appreciator » qui se joue comme un jeu d’arcade tout en exprimant l’antithèse du concept de la nouvelle arcade interactive et sociale : le but est d’«  apprécier  » avec les yeux sans toucher aux œuvres, et surtout éviter d’effleurer les autres visiteurs de la galerie  ! Il va sans dire que Jess préfère les jeux en solo, qui permettent de plonger dans un univers. Pour sa thèse, elle réalise en équipe « Lethe », un jeu de récit interactif à joueur unique. D’abord exposé sous forme d’installation, il sera prochainement disponible en ligne et suivra le circuit des festivals de jeux indépendants, sans ambitions commerciales particulières.

C’est ce soir la première fois que Babycastles invite des étudiants à présenter leurs jeux. Jess en est très contente  : «  La scène de Babycastles est fantastique. On va à beaucoup de leurs événements, on adore les jeux fous qu’ils exposent et la façon dont ils soutiennent la communauté des jeux indé. Ne serait-ce que dire que nous avons exposé à Babycastles est énorme pour nous.  »

À Greenwich Village, au cœur de Manhattan, au cinquième étage d’un immeuble sur Broadway, le Game Center, sur le campus de la renommée New York University, a aussi créé un espace galerie dédié aux jeux indépendants. Pour sa deuxième édition, l’exposition annuelle de jeux commissionnés par le Game Center a repris le titre « No Quarter ». Les bornes des jeux vidéo d’antan fonctionnaient avec des pièces de 25 cents (un quarter, donc). Ce n’est plus le cas avec les nouvelles arcades résolument culturelles. Pour Charles Pratt, commissaire de l’exposition, «  la nouvelle arcade s’affirme comme un épanouissement pour les jeux dans l’espace social réel  ». Face à la disparition des vieilles salles commerciales et la popularisation des jeux en réseau, l’arcade nouvelle vague séduit de plus en plus, joueurs comme développeurs.

Arcades culturelles

Autre exemple de cette effervescence, le Winnitron, qui fait ses débuts à New York dans le cadre de No Quarter. Cette interface en provenance de Winnipeg, au Canada, intégrée à une borne de jeu classique, permet au joueur de choisir parmi plusieurs titres indépendants. Les jeux sont mis en vedette et la palette régulièrement mise à jour par les artistes-commissaires de Winnipeg. On imagine très bien le Winnitron installé dans le coin d’un café, voire camouflé parmi d’autres bornes vintage de Barcade, fameux bar à thème sur le rétrogaming à Williamsburg.

Le cœur de la nouvelle arcade bat cependant très nettement du côté des deux espaces indépendants gérés par Babycastles. La preuve  ? Un certain Joshua Davis, alias Bit Shifter, compositeur de chip musique et co-organisateur du festival Blip, reconnaît l’audace de ce projet pionnier  : «  Babycastles applique aux jeux et à leur développement une philosophie DIY, punk-rock, artistique très brute. Je ne sais pas si le grand public est prêt pour ça (et je le sous-estime peut-être), mais je les respecte d’autant plus.  »

cherise fong 

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