Et si la Xe Biennale d’art contemporain de Lyon démontrait par l’absurde les impasses du nouvel académisme documentaire artistique ? « Le Spectacle du quotidien », du 16/09/09 au 03/01/10, La Sucrière (Les Docks, 47-49 quai Rambaud), Musée d’Art Contemporain (Cité Internationale, 81 quai Charles de Gaulle), Fondation Bullukian, 26 place Bellecour, Entrepôt Bichat (5 rue Bichat), Lyon. Entrée : 6€-12€.
"Sans titre", 2009, de Shilpa Gupta : les battements du portail sur le mur accueillent le visiteur de la Biennale de Lyon (pour se taper la tête contre les murs ?). © Blaise Adilon (courtesy Shulpa Gupta/Yvon Lambert)
< 25'09'09 >
Lyon, une Biennale documentairement correcte

(Lyon, envoyée spéciale)
Un cas d’école. La Xe Biennale d’art contemporain de Lyon en est un à trois titres. Au moins. Par les conditions concrètes de sa mise en œuvre(s) en moins de sept mois par Hou Hanru, curateur de secours (après le retrait de Catherine David en février) ; par le traitement à la lettre et à l’image près de son thème générique et suffisamment fourre-tout (« Le Spectacle du quotidien »), n’en déviant pas jusqu’au truisme (cf les premières impressions de poptronics sur le sujet) ; enfin, par la mise à plat qu’effectue cette biennale de cette question simple : de quoi témoignent, aujourd’hui, ces artistes s’inscrivant dans un monde défini comme « global » et appréhendé dans une géographie des territoires et des marchés, et dans quelles formes de la re-présentation sont-ils ? En gros, dans l’urgence à faire biennale et à remplir le propos curatorial post-moderne de Hou Hanru, que disent-ils, que montrent-ils et comment le montrent-ils ?

Et c’est dans de petites visibilités, peu métaphoriques et largement documentaires, et qui, somme toute, échappent au visiteur, que les pièces placées en un parcours segmenté en cinq chapitres totalement éclatés entre les quatre lieux d’expositions deviennent intéressantes. Et symptomatiques d’un nouvel académisme, d’une impasse formelle et des limites aujourd’hui atteintes par le discours issu des cultural studies, qui marque l’art à « l’âge des biennales » depuis les années 1990-2000.

Dans ce contexte, comment montrent les artistes ? Par la forme documentaire. Que ce soit les vidéos ou les installations.
Exemples, donc, documentaires… L’entrée de la Sucrière. Deux installations dont il semble que le propos soit de pointer une violence imperceptible, anodine, urbaine, mais dont on ne sait pas très bien par qui elle est produite, organisée, orchestrée. Jimmie Durham monte/montre ainsi l’un de ces échafaudages de chantier que l’on utilise dans toutes les villes du monde, surmonté d’une caméra de surveillance (objet largement présent dans nos sociétés mondialisées et sous haute donc surveillance) (« Regarde », 2009). Expérience commune, montage ordinaire, transporté dans l’espace de la monstration artistique. Hou Hanru nomme d’ailleurs cette possible introduction « la Rue ». C’est simple. Face à Durham, l’énorme battant d’une porte-grille de Shilpa Gupta (« Sans titre », 2009), mu par un mouvement lourd d’ouverture et de fermeture, qui vient frapper le mur de cimaise. Le fragile mur d’exposition est destiné à être peu à peu détruit. Littéralement, c’est « se taper la tête contre les murs ». Position des femmes et des hommes dans leur quotidien fermé et sans avenir. Simple ? Trop simple…

Simplification
Le visiteur a assez vite compris : nous sommes dans les infimes désordres et confusions sonores et visuelles d’un monde urbain, violent, indifférent et absurde. Ce que viennent nous redire la succession de vidéos que l’on peut voir en poursuivant : celle de Leopold Kessler (« Lucky Day », 2009) dans laquelle des passants, près du musée du Louvre, offrent une bague en or à l’artiste ; celle d’Olivier Herring où des enfants –acteurs improvisés– jouent à saute-mouton sur les marches d’un escalier, ou encore celle de Mark Lewis (« Cold Morning », 2009) qui filme au ras d’un trottoir un homme sans toit, entouré de cartons d’emballage… Quel que soit le dispositif de filmage, performance rejouée ou tournage en direct, caméra à l’épaule…, ces vidéos sont des enregistrements, une mise à plat d’instants de réalités. En boucle, sous notre propre indifférence. Autre exemple. Fikret Atay, vidéaste turc, filme à l’intérieur d’une école religieuse musulmane : « Theorists » (2007). Il filme là aussi à hauteur des corps en mouvement incessant, des jeunes hommes qui marchent, marchent, en lisant, ils ne regardent pas, ne voient pas, et la caméra de sa position médiane enregistre une rumeur et des déplacements. Documents… comme un certain nombre d’installations qui, autour de ce motif du quotidien, mettent en scène le banal, l’habituel, le commun. On revoit l’installation de Michael Lin, « What a Difference a Day Made » (2008), qui aligne des caisses de bois à l’intérieur desquelles sont ordonnés des objets plastiques.

Continuer cette description est bien sûr possible. Redire l’utilisation des textes, des phrases slogans qui se renvoient d’un lieu à l’autre, s’amuser de l’ironie binaire des dessins à la craie de Dan Perjovschi, se « risquer » à la performance instituée par Dora Garcia qui pousse le visiteur à voler son livre sous le regard d’un gardien impuissant au bras en écharpe (« Steal this book »)… Mais ce serait se fondre dans l’une des impasses de cette Biennale : la redondance et la tautologie tant du contenu que de la forme. Et, souvent, la simplification.

Un monde sans sexe, sans corps, sans révolte ?
Dans cette autre question : de quoi les artistes témoignent-ils ? Ceux réunis ici, de façon individuelle ou sous collectif (UN NOUS, T.a.m.a, Project Side Effects), semblent bien timides –et disons-le naïfs– face aux stratégies politiques, aux crises sociales et financières, face aux migrations économiques. Ce sont des témoignages de bonne conscience, jamais de mise en danger de la forme et de la pensée, ni du visiteur. En conséquence de quoi, cette Xe Biennale de Lyon se présente « globalement » et « documentairement » correcte, avec un effet anesthésiant certain, un académisme des formes mis au jour.

Le quotidien du monde serait-il aussi peu charnel, sans corps, sans sexe, sans révolte ? Un monde sans qualités pour une Biennale sans qualités ? Reste les « Chair Events » et « 9 Event Glasses » (1960-1986) de George Brecht qui interrogent, débusquent l’inconfort, l’énigme d’un quotidien uniformisé ; reste l’« EU Green Card Lottery » (2009) de Société Réaliste, une véritable critique du système de contrôle des flux migratoires entre le Nord et le Sud ; reste Agnès Varda et ses « Cabanes » (2006-2009), marines et cinématographiques, des portraits directs et intenses de femmes et d’hommes de Noirmoutier aux visages cachés dans la pellicule d’acteurs et d’actrices de notre imaginaire quotidien, là, c’est la politique du sensible qui affleure enfin !

marjorie micucci-zaguedoun 

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