Philoctète d’après Philoctète de Sophocle (2006), esplanade des Laboratoires d’Aubervilliers, les 27, 28 et 29 juillet, dans le cadre de Paris quartier d’été, à 20 h. Gratuit sur réservation. : 01 53 56 15 90.
Gwénaël Morin, "Philoctète d’après Philoctète de Sophocle", Les Laboratoires d’Aubervilliers, monté en décembre 2006, rejoué en plein air ce week-end. © Marc Domage.
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Le slam antique de Philoctète à Aubervilliers

Paris quartier d’été déborde jusqu’à Aubervilliers, sur l’esplanade des Laboratoires, le lieu d’expérimentation et de production artistique qui réserve toujours de belles surprises. En l’occurrence, de la tragédie grecque revisitée par Gwenaël Morin, ancien assistant de Thomas Hirschhorn, auquel il « vole » une partie de son vocabulaire esthétique. C’est lui qui l’affirme dans le long entretien du « Journal des laboratoires » distribué à l’entrée du spectacle.

Les pierres qui parsèment la scène extérieure sont des bouts de bois entourées de scotch adhésif marron. Les mots qui seront dits, scandés, criés et chuchotés par les acteurs sont photocopiés, raturés, placardés sur un tableau sommaire. Le pied pourri de Philoctète est grossièrement grossi, toujours avec de l’adhésif, rouge cette fois.

La scénographie emprunte à Hirschhorn dans son aspect bricolo-anarchique, mais ce qui se passe pendant ce « Philoctète d’après Philoctète de Sophocle  », plus qu’une installation plastique, est une tranche crue et saignante de théâtre. Gwenaël Morin tisse des passerelles entre le texte de 3000 ans, truffé d’appels aux devins, aux prophètes et aux dieux, et nos sociétés contemporaines minées par les questions religieuses et la guerre, toujours et encore. L’intrigue un poil poussiéreuse est presque secondaire (le jeune Néoptolème, envoyé d’Ulysse, est chargé de convaincre Philoctète, reclus sur une île avec son arc et ses flèches magiques, de rejoindre l’armée pour enfin renverser Troie). Ce qui se passe là, avec le spectateur (les aller-retours dans les gradins, les poignées de main et les effets dos au public accroissent le sentiment d’être avec les acteurs dans la tragédie), c’est de la souffrance, des larmes, de la haine et des rancœurs.

Quand Ulysse, traité comme un demi-dieu, absent de la scène mais toujours là à observer ce qui s’y passe, en peignoir de bain blanc, répète son ode à « la guerre pour la paix », ce sont les discours de Bush pour justifier la guerre en Irak qui résonnent à nos oreilles. Quand le chœur, deux comédiennes qui portent haut et fort le verbe (ainsi qu’une rangée de têtes de mannequins qui leur servent de doubles soldatesques), s’énerve contre ce Philoctète hésitant, plus si vaillant qu’auparavant, que les appels à la bravoure exaspèrent (incarné par l’actrice Marief Guittier, au charisme incroyable), c’est la rage de toutes les populations exclues, banlieues chez nous, Palestiniens ou Irakiens chez eux, qu’on retrouve.

Le texte de Sophocle est là, truffé de phrases plus contemporaines, le tout est fluide et s’écoute comme un slam antique. « Il fallait, pour que l’échange de paroles atteigne un niveau d’efficacité théatrâle maximum, les hisser au niveau de ce que peuvent être les échanges de tirs », explique Gwenaël Morin dans le « Journal des laboratoires ». « Et il fallait que la portée de ces échanges soit énorme, démesurée, au-delà de l’échelle des enjeux d’une lutte d’homme à homme, pour devenir grosse comme l’issue de la guerre. La guerre de Troie pour Philoctète, la guerre permanente, en fait toutes les guerres, nos guerres. »

Pour coller à la tragédie, la version choisie est celle de Sophocle, pour coller au monde d’aujourd’hui, la fin est empruntée au Philoctète d’Heiner Müller  : la mort plutôt que le mysticisme. 3000 ans après, les données ont légèrement changé, veut indiquer le metteur en scène. La violence primaire de ceux qui se battent pour l’honneur, leur patrie ou pour obéir aux ordres est toujours pareille, elle.

annick rivoire 

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