Tout sur le Labo, la sélection de films « hors du ton » du festival du court métrage de Clermont-Ferrand, du 29/01 au 6/02 à Clermont-Ferrand.
« Sam’s hot dogs », sélectionné au Labo de Clermont-Ferrand 2010, un petit joyau "mixed media" en provenance du Royal College of Art, réalisé par l’Espagnol David Lopez Retamero. © David Lopez Retamero
< 05'02'10 >
Au Labo 2010, la chair filmique est triste

Le documentaire est « la » tendance du Labo de Clermont-Ferrand, la sélection qu’on aime de films « hors du ton » du premier festival français de formes courtes, le festival du court métrage de Clermont-Ferrand, qui tient toute la semaine sa 32e édition. Du docu comme on n’en voit pas en formes longues, le réel étant certes le sujet central de ces courts, mais retraité, malaxé, comme mis à distance critique grâce à la panoplie usuelle de techniques de manipulation des images (cut-up, footage, stop-motion, 3D, Super 8 et illustrations à l’ancienne, photorama et images de synthèse…).

Cette forme documentaire, on la retrouve par exemple dans l’excellent et drôle « Rojak » (ou comment expliquer un comportement social par un plat typiquement malais, par Jordan et Mussadique Suleiman) ou dans le brillant « Photograph of Jesus » (variation autour des requêtes les plus farfelues faites aux archives de Getty Images). Elle est aussi le signe que ce Labo 2010 reflète un certain état du monde déglingué.

Rojak ! Jordan et Mussadique Suleiman, Malaisie, 2009 :



Photograph of Jesus, Laurie Hill, 2008 :


Un paysage mental de la jeunesse

Quarante-deux films sont présentés cette année, en provenance de tous les continents (à l’exception toujours regrettable de l’Afrique), qui construisent une sorte de paysage composite mental de la « jeunesse » internationale, la section expérimentale du festival de Clermont étant aussi celle des premiers essais. Un mental de plus en plus glocalisé (le mot-valise de glocalisation, au sens dépoussiéré du fameux « village planétaire » de Marshall McLuhan.

2010, année du rétro-futur, se prête bien à cette analyse : la folle course en avant ciné-techno du début de la décennie s’est ralentie. N’était l’engouement pour la 3D en relief d’un « Avatar », qui relance momentanément les artefacts technos, difficile aujourd’hui de repérer la « nouvelle » nouvelle technique à la mode. Le spectateur de ces formes hybrides s’est familiarisé avec ce patchwork d’images fixes et animées, ce noir et blanc revisité, cette couleur repulpée d’effets spéciaux et de brillance. Il baigne lui aussi dans cette culture du remix empruntant au « folklore numérique »., au risque que la surenchère d’images irréelles plus vraies que nature finissent par le blaser. Derrière le carambolage maîtrisé des techniques toujours à l’œuvre au Labo (on rassure les aficionados), se profile un monde touillant allègrement ses cultures locales dans la soupe mondiale aux images.

Pourquoi le Brésil

Les particularismes s’affirment : les ambiances post-tropicalistes des courts brésiliens (cinq films au Labo 2010) n’ont rien à voir avec l’attrait métaphysique pour l’espace qui ressort des fictions du nord de l’Europe par exemple. « Zigurate » de Carlos Eduardo Nogueira (des tours infinies, un décor aseptisé façon cauchemar américain, des couples copulant sans jouissance jusqu’à la nausée) n’a que très peu à voir avec « Avaca », de Gustavo Rosa de Moura, ballet absurde et troublant qui, par la grâce d’un montage rétroactif, redonne vie à une carcasse de vache (coup de cœur !!). Et encore moins avec le très elliptique « Mirà » de Gregorio Graziosi, variation noir et blanc entre Niemeyer, l’architecte phare du modernisme au Brésil, et Antonioni, le cinéaste de « L’Avventura »… Quant à « Superbarocco », de Renata Pinheiro, où le héros à la dérive replonge littéralement dans les images de ses souvenirs (les images se surimposant à son quotidien), ni le filmage, ni l’intensité et encore moins la narration n’ont de points communs avec les précédents. Ce qui rapprochent ces films-là, c’est plutôt une critique échevelée, baroque et étrange de la société post-moderne brésilienne.

« Zigurate », Carlos Eduardo Nogueira, 2008-2009 :



De huis-clos obscur en gore hilarant

« Garuud », seul film indien de la sélection, use ainsi d’une technique cinématographique universelle (un immense travelling), mais son rendu (le portrait en couleurs feutrées d’une société indienne multiple) en fait un objet résolument singulier. De même, le « Catafalque » de Christoph Rainer, huis-clos obscur au sommet de l’angoisse, offre une vision cauchemardesque du rapport à la paternité. Il faut dire que son réalisateur vient d’Autriche, le pays des faits divers les plus affreux (les 8 ans de séquestration d’une Natascha Kampusch, les 24 ans d’Elisabeth Fritzl…).

Certes, la nationalité des films et de leurs auteurs n’a pas attendu le Labo pour s’exprimer : un Satyajit Ray n’a jamais filmé à la Kurosawa. Et l’humour « so british » (« A family portrait », de Joseph Pierce, « Sam’s hot dogs », de David Lopez Retamero, « Yellow Belly End », de Philip Bacon) fait un pendant tout ce qu’il y a de plus classique à la grossièreté subtile des Franco-canadiens (« The spine », de Chris Landreth, ou l’exagération ubuesque d’une relation de vieux couple, « Muzorama », le gore hilarant de l’univers du dessinateur Muzo).

« Yellow Belly End », Philip Bacon, 2009 :



« Muzorama », d’après Muzo, réal. Elsa Brehin, Raphaël Calamote, Mauro Carraro, Maxime Cazaux, Emilien Davaud, Laurent Monneron et Axel Tillement, 2009 :


Un réel sans échappatoire

Rien de nouveau sous le soleil ? La photographie du monde tel qu’envisagé par les réalisateurs du Labo de Clermont est loin de faire rigoler. L’expérience commune brasserait plutôt des remugles de suicides, violences, meurtres et passé mal digéré, comme on le repère dans « This is Alaska », où les Suédoises Mårten Nilsson et Gunilla Heilbron campent une communauté de personnages largués ayant échoué là, au bout du bout du monde.

La mondialisation, c’est aussi ce sentiment diffus que le réel est moche, fini et limité, qu’il n’offre guère d’échappatoires. On en a trouvé quand même : la poésie (le merveilleux ballet visuel en hommage à la sonorité du polonais, « The polish language », d’Orla McHardy et Alice Lyons), la danse ou/et le sport (« Tomorrow yeah ! », chorégraphie chuintante autour d’un entraînement de basket, de Daniela Abke), l’abstraction pure (« Strata #2 », de Davide Quagliola, variation anguleuse et sonore autour des vitraux, et, en dernier recours pour cette cuvée 2010, l’humour. Certes grinçant et scato, mais l’humour quand même, celui du très sautillant « Videogioco », de l’Italien Donato Sansone.

« Videogioco », Donato Sansone, 2009 :

annick rivoire 

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