Cosmos Island, par Eva et Franco Mattes, co-fondateurs de 0100101110101101.org.
© Eva and Franco Mattes (0100101110101101.ORG) Rote Palais de Kassel version "Second life"
< 07'06'07 >
La deuxième vie des « 7000 chênes »

Planter un arbre sur une île de Second Life, quoi de plus simple… Pourtant, quand Eva et Franco Mattes, co-fondateurs de 0100101110101101.org, s’en chargent, ils reconstituent « 7000 chênes » de Joseph Beuys. Le temps d’enfiler un costume de pixels et nous voila téléportés d’un clic sur Cosmos Island.

Des tas de pierres, représentant les colonnes de basalte qui composaient la performance originale réalisée à la Documenta 7 de 1982, s’empilent en vrac devant une reconstitution 3D du Rote Palais de Kassel, la ville (allemande) qui accueille tous les cinq ans ce rendez-vous international de l’art contemporain (parcourir l’édition 2007). Cette « Second » performance a été inaugurée le 16 mars 2007. Soit vingt-cinq ans jour pour jour après que le premier arbre a été planté par Joseph Beuys, artiste allemand mort en 1986 (lire sa fiche wikipedia).

Un message d’accueil invite à participer à la performance. En contactant Pei Twang et Pei May, les avatars respectifs d’Eva et Franco Mattes, votre avatar peut acquérir un couple arbre/pierre et le semer dans la terre de Second Life, monde persistant qui revendique des millions de joueurs connectés dans le monde. Collant à la stricte définition de la performance de Beuys, le projet des 0100101110101101.org s’achèvera dès que toutes les paires seront plantées. Dans la création originale, Joseph Beuys avait dû attendre cinq années. Combien de temps cela prendra-t-il dans cet univers-ci ? Depuis plus de deux mois, arbres et basalte se dressent autour de la côte de Cosmos Island. Mais l’exploration d’autres parties de l’univers de Second Life révèle que ces associations végétal/minéral ont poussé un peu partout.
Les net-artistes italiens avaient déjà tenté une incursion dans cet univers 3D qui fait davantage parler de lui pour ses permanences du Front national ou de Ségolène Royal, ou pour les grandes entreprises qui investissent des magasins virtuels. L’incursion artistique des 0100101110101101.org est d’abord passée par la plasticité de tous ces êtres virtuels, dont ils ont fait la matière d’une autre création, une collection de portraits numériques modelés via le gestionnaire d’apparence de « Second Life ». 13 Most Beautiful Avatars et LOL ont notamment été exposés à New York, à la Postmasters Gallery. Dernier-né de cette série, Annoying Japanese Child Dinosaur, prolonge leur réflexion sur la remise en question du rôle traditionnel du portrait et de la représentation individuelle dans le monde virtuel.
Avec le remake de la performance de Beuys, c’est la définition même de la performance en art qu’ils remettent en cause. On reconnaît la patte des 0100101110101101.org, qui avaient fait irruption du net à l’art contemporain avec le premier virus artistique, Biennale.py, en 2001, pendant la sacro-sainte biennale de Venise. Réitérer aujourd’hui ces happenings abroge l’une des règles esthétiques qu’Alan Kaprow imposait à cette forme d’action artistique : la non-reproductibilité de l’acte. Les artistes des années 1960-70 utilisaient des matériaux périssables ou qui avaient vocation à se transformer ou se détruire au cours de la performance.

Alors qu’Eva et Franco Mattes font renaître ces objets originels, les dupliquent tout en respectant le scénario original. Ce procédé qui pourrait ressembler à un plagiat 3D n’est cependant pas une copie mais bien une réinterprétation de l’œuvre.

Beuys n’est d’ailleurs pas le premier artiste auquel les deux Italiens ont rendu hommage. Les « 7000 chênes » s’inscrivent dans la série des « Synthetic Performances ». Soit un remake online et en 3D de moments historiques de l’art contemporain. Après avoir réinterprété « Shot » de Chris Burden et « Seedbed » de Vito Acconci, les 0100101110101101.org intègrent les « Second » spectateurs en reproduisant la performance de Valie Export, « Touch cinéma » (Tapp und Tast-kino).

L’avatar d’Eva Mattes, torse nu et vêtue d’une boîte en carton identique à celle de l’artiste activiste autrichienne, s’est ainsi baladée dans Second Life. Tandis que Franco Mattes, hygiaphone en main, rameutait les passants, les invitant à plonger leurs mains virtuelles dans ce mini cinéma.
Discrète sur leurs motivations ou même le calendrier des prochaines performances, Eva Mattes explique : « A chaque nouvelle performance, nous le signifions sur notre site web ainsi qu’à travers la presse, réelle et Second. Ceux qui sont au courant de la date et du lieu peuvent ainsi nous y rejoindre ». La « Second » rumeur quant à elle, annoncerait la reproduction d’une performance du répertoire d’Abramovic…

aude crispel 

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