Une semaine sur le thème « DATA et moi » au centre culturel Visages du Monde à Cergy, avec expo, conférences et ateliers, jusqu’au 21/06.

Retour sur l’atelier Internet et anonymat du collectif RYBN du 17 juin.

« Worldbrain », le doc transmédia de Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin, projeté à Cergy dans le cadre de « DATA et moi ». Capture écran © DR
< 19'06'15 >
La data et moi et moi et moi…

À l’heure où les datas font l’objet de toutes les convoitises, de la part des grandes firmes comme des Etats, le centre culturel Visages du Monde programmait une semaine sur le thème « DATA et moi » jusqu’au 21 juin à Cergy. Où vont nos données personnelles, comment sont-elles interceptées, par qui et dans quels buts ? Ces questions font l’objet d’une programmation d’installations, d’ateliers et de workshops qui croisent les regards d’artistes, de chercheurs et d’activistes. Une façon aussi d’« exposer » nos pratiques, du banal usage personnel à l’ère des réseaux sociaux jusqu’à l’impact social et environnemental du Web 2.0.

Le 17 juin, le collectif RYBN organisait un atelier Internet et anonymat. Une douzaine de participants, le plus jeune a 15 ans, les plus âgés avoisinent les 70 ans. Tous sont venus comprendre comment fonctionne le Web et découvrir leurs marges de manœuvre.


Le pad de travail témoigne du déroulement de l’atelier Internet & anonymat : chacun peut y ajouter des références techniques ou théoriques. © Sarah Taurinya

Comme les membres du collectif RYBN souhaitent garder, justement, leur anonymat, nous ne dévoilerons pas leur identité. K. donc, explique comment « apprendre à naviguer dans cet écosystème un peu particulier ». Son point de vue est d’abord théorique, puis plus pragmatique quand il passe au test des outils sur nos propres machines. La démo permet d’appuyer sur le fait que l’Internet fonctionne sur des infrastructures bien réelles. Sa physicalité se traduit par des réseaux gigantesques de câbles qui parcourent le monde et des centres de données qui alignent des kilomètres de rayonnages de machines extrêmement gourmandes en électricité.

C’est aussi ce que montre « Worldbrain », le film et projet transmédia de Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin, projeté le soir même. On y découvre les travaux colossaux mis en œuvre pour installer les fibres optiques qui traversent terres et mers, ainsi que les couloirs infinis et aseptisés des datacenters (on l’avait déjà évoqué lors du festival Mal au Pixel).

« Worldbrain », docu transmédia, Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin, bande-annonce, 2015 :

Mais revenons à l’atelier qui nous propose de comprendre les processus sous-jacents à nos pratiques quotidiennes, principalement nos mails et nos recherches. Avec l’émergence des GAFA, les poids lourds type Google et Facebook, le réseau est devenu centralisé. Les algorithmes des géants du Web 2.0 piochent dans nos métadonnées pour fournir des réponses « adaptées » à chacun, sélectionnent les informations les plus populaires et envoient aux oubliettes nombre de ressources.

Et le deuxième problème majeur apparu avec cette centralisation, c’est la surveillance généralisée, un sujet d’actualité. Avec l’adoption en France de la loi sur le renseignement. Avec la multiplication des sociétés privées utilisant nos données à des fins marchandes.

Au nom de la menace terroriste, l’Etat français est sur le point de faire adopter une loi pour permettre aux autorités d’accéder à toutes nos datas dans le but de nous « protéger ». J. entame alors une démonstration d’Ettercap, un logiciel conçu par des hackers italiens qui « écoute » le réseau, en clair, qui enregistre le trafic. Dès qu’une connexion n’est pas sécurisée, il récupère identifiants et mots de passe et peut modifier des informations à votre insu en cours de route. La surveillance à portée de clic.

Surveillance, anonymat, libertés publiques… Ces questions brûlantes sont au cœur de l’exposition DATA à Cergy. « The transparency Grenade » (2012) de l’artiste Julian Oliver, est une authentique grenade qui embarque un mini système informatique d’interception des données envoyées par wifi. Transparente, elle livre son contenu dynamique sur grand écran. Menaçante aussi, elle symbolise le danger de croire que notre vie privée est respectée sur les ondes.


« The transparency Grenade », Julian Oliver, 2012, exposée à Cergy. © Sarah Taurinya

C’est bien pour ça qu’on est venus participer à cet atelier Internet et anonymat. En pratique, on découvre des alternatives à Google, notamment le réseau TOR, partagé entre tous les utilisateurs et qui permet de masquer son identité et ses requêtes. Passage à la pratique pour apprendre à chiffrer ses mails. Chacun avec son niveau de connaissance pioche dans les différentes solutions. Certains participants, plus avancés, aident les autres. Une dame dit avec un sourire qu’elle n’a pas vu le temps passer. A 19h, la discussion se poursuit autour d’un verre.

Côté atelier, les 20 et 21 juin, Natacha Roussel prend le relais avec « We are all monsters » dans lequel elle devrait apprendre aux participants à récupérer les données physiologiques collectées par les senseurs de nos smartphones et les applications de santé ou de sport-monitoring, tout en utilisant le support du jeu vidéo pour questionner les enjeux sociaux soulevés par ces pratiques.

Propriété intellectuelle de nos gestes et interfaces

Le rapport entre corps et technologies est justement au cœur de l’œuvre de Julien Prévieux, prix Marcel Duchamp 2014. Il procède à un inventaire des gestes qui actionnent les fonctions des appareils numériques. Un ballet mystérieux qui en 2010 enchaînait ces mouvements modélisés en 3D.


« What shall We do Next ? Séquence #2 », Julien Prévieux, 2014. © Sarah Taurinya

On retrouve à Cergy « What shall We do Next ? Séquence #2 », où un groupe de danseurs interprète dans un décor dépouillé et géométrique les avancées des Natural User Interface. L’absence des machines censées répondre à leurs sollicitations les fait ressembler à des hôtesses de l’air mimant dans le néant.


« WikikIRC ou La sonification de Wikipedia », Labomedia, 2012. © Sarah Taurinya

Les installations ne sont pas toutes inédites, mais elles ont été choisies pour leur capacité à montrer les dessous des réseaux, qu’il s’agisse de contributions à Wikipédia, de téléchargements en P2P ou encore de QR code. Dans le hall, le piano de Labomedia interprète en temps réel les modifications incessantes apportées sur Wikipedia. « The Pirate Cinema » (2012-2014) de Nicolas Maigret projette sur trois écrans les échanges de films à travers le monde en peer to peer (il en parlait pas mal ici). Sur la façade en mode écran géant, « Fortune Cookie » d’Olga Kisseleva et Sylvain Reynal transforme les QR codes en diseuses de bonne aventure. Enfin, une sélection de films complète l’exposition, à voir jusqu’au 21 juin 2015 dans le cadre de Futur en Seine, le festival du numérique francilien.

Sarah Taurinya 

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