54e Biennale de Venise, Illuminazioni, Arsenale, Giardini, jusqu’au 27/11/11, tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h.
"Salt Crystal Shoes on a Frozen Lake", de Sigalit Landau, fait se rencontrer les contraires (sel et glace), ou comment dissoudre les lignes. © Sigalit Landau, courtesy de l’artiste et Kamel Mennour, Paris.
< 10'06'11 >
L’art force son chemin à Venise, entre luxe et hypercommunication

(Venise, envoyée spéciale)

Question biennale, y a-t-il quelque chose à voir, ici, à Venise, pour cette 54e Biennale d’art confiée cette année à Bice Curiger, brillante rédactrice en chef de la non moins brillante revue « Parkett » ? Nous pourrions procéder sur un mode rétrospectif immédiat. Ce qui s’est produit dès l’ouverture de la Biennale le 1er juin dernier, des Giardini à l’Arsenale, aux pavillons dits extérieurs. D’un lieu à l’autre, ce sont deux visions des transformations d’un monde de l’art entré dans la sphère de l’hypercommunication, « à l’égal » d’autres grands raouts culturels (festival de Cannes ou Mostra, puisque nous sommes à Venise). Il apparaît ainsi qu’être ou ne pas être à Venise n’était pas la question…

Car ceux et celles qui n’y étaient pas ont vécu aussi une Biennale par médias interposés, par blogs et sites, par pages Facebook de ceux qui y étaient, par Youtube, par la télévision de la Biennale elle-même, par les sites internet des artistes eux-mêmes

Le slogan pourrait être : « One view, one shot »… Et vous avez ainsi tout vu, en direct. Toutes ces images télévisuelles, photographiques, toutes ces captures d’œuvres, d’artistes, de flyers, tous ces shots vidéo par iPhone, sur le Net… Ne pas déroger à l’immédiateté, voir sans voir, ou faire immédiat dans une redondance de flux des mêmes images. Faire coups de cœur parce que dans cet immédiateté-là, le regard critique se réduit à l’effeuillage de la marguerite : j’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie (on vous rassure, ce ne fut pas le cas), pas du tout (ce fut le cas pour les deux expositions conduites par Bice Curiger aux Corderies et dans le pavillon international). On aime, on n’aime pas, face aux flux des images désordonnées qui tombent.

Et donc Poptronics était sur place, dès le 31 mai, en pré-ouverture. Ce fut, pour un instant, notre « chance » (pour reprendre le titre de l’installation de Christian Boltanski pour le pavillon français). Un instant, nous avons décalé les questions du nombre de pavillons vus, nos avis sans avis sur les expositions de la fondation Pinault, de la fondation Prada ou de celle d’un milliardaire russe. Nous avons, un instant, pu voir les pavillons espagnol (Dora Garcia avec « L’Inadeguato-Lo Inadecuado-The Inadequate », pavillon de performances entourées des objets qui serviront aux acteurs tout au long de la Biennale), britannique (Mike Nelson avec sa « reconstruction » du pavillon en maison abandonnée ou en état de ruines après le désastre), français (déjà cité, où Boltanski joue à la roulette de la vie en une installation échafaudage un brin ostentatoire et vite comprise… efficace), ou encore le passionnant pavillon danois (sous le titre de « Speech Matters », collectif, avec notamment le faux collectif Agency sous lequel se cache l’artiste Kobe Matthys : ou comment l’art de la controverse par l’archive devient pratique artistique par l’objet et le discours).

Ce premier jour privilégié fut celui des rencontres avec Dora Garcia (nous y reviendrons) et avec Sigalit Landau, artiste israélienne qui travaille la ligne, la frontière à dissoudre, à couper, avec, notamment une vidéo, « Salt Cristal Shoes on a Frozen Lake, Gdansk » (2011). Deux sculptures d’immenses chaussures faites du sel de la mer Morte se dissolvent sur un sol gelé près de Gdansk. Relier et dissoudre ; mémoires et antagonismes. Mais l’ensemble du pavillon que Sigalit a étagé sous le titre ouvert de « One Man’s Floor Is an Another Man’s Feeling » donne peut-être une des tonalités de cette Biennale. Des artistes (et nous parlons uniquement des pavillons nationaux) qui n’interrogent pas tant leur médium ou leur pratique, mais bien le monde tel qu’il ne va pas, ou tel qu’il est en train de finir. Parce qu’il n’y a rien de documentaire dans la plupart des œuvres découvertes, mais bien des perceptions de notre présent dans son état de doute, d’angoisse, d’effacement, de torture et de mort.

Plus tard, nous découvrirons les pavillons égyptien avec ses images de la place Tahrir filmées par l’artiste performeur Ahmed Basiony, tué le 28 janvier, là, sur cette place symbole de la révolution égyptienne ; le pavillon Irak (« Wounded Water »), première visibilité des artistes irakiens à la Biennale… Plus tard, encore, nous resterons longuement dans le pavillon mexicain avec l’artiste Mélanie Smiths, ou encore dans le pavillon d’Asie centrale.

Donc, aimer, ne pas aimer… C’est aussi se dire : comment voir l’art à Venise, lorsque la course à la Biennale est ouverte, lorsque la machine communicante se met en marche, quand les artistes se transforment en perpétuels interviewés surbookés, quand à l’entrée des pavillons on vous demande en boucle : « Have you a business card ? » Business, vous dites ? Que dire lorsque des directeurs de musées et de centres d’art expriment leur dépit face à une presse qui leur semble reine, qui disent être relégués à la portion congrue, touristes parmi les touristes ? Que ce n’est pas la presse qui est privilégiée, mais la communication !

Comment voir l’art à Venise dans ce qui est devenu une course aux médias, une mobilisation de l’événement art dans l’événement communication… et dans l’événement people-luxe ? Si nous avons cédé à l’exercice du « one-shot, one view », si nous avons vu des choses… reste à mûrir les éclats d’art que nous avons eus (autrement dit, on y revient !).

marjorie micucci-zaguedoun 

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