Interview de Jérôme Delormas, fraîchement nommé directeur général de la Gaîté lyrique numérique, le futur centre des musiques actuelles et des nouveaux médias de la Ville de Paris. Ouverture prévue : 2010.
Le projet de rénovation de la Gaîté lyrique à Paris est un vieux serpent de mer. C’est l’actuel maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui a décidé d’en faire le centre des arts numériques et des musiques actuelles français. © Cabinet Manuelle Gautrand
< 29'11'07 >
Jérôme Delormas : « La Gaîté sera éclectique, pluraliste, diverse »

La mairie de Paris a lâché l’info lundi, M. Delanoë a choisi pour diriger la Gaîté lyrique numérique, le centre de musiques actuelles et nouveaux médias qui devrait ouvrir en 2010, l’équipe Zelnik-Hearn-Delormas. Soit l’association du patron du label Naïve, de l’agence de conseil et d’ingénieries culturelles Troisième pôle et de l’actuel directeur du Lux scène nationale de Valence. On croyait le projet gentiment enterré sous un monceau de tracas administrativo-politiques (on reviendra sur l’histoire chaotique de la Gaîté, fermée depuis 1989) ; le voilà qui repart, le chantier est en cours, l’équipe nommée, avec budget et calendriers à la clé. Jérôme Delormas, l’un des deux commissaires de la Nuit blanche 2007, en sera le directeur général. Poptronics a voulu en savoir plus sur ses intentions pour en faire le fameux pôle de création et de diffusion des nouveaux médias en France.

La mairie de Paris vient de vous choisir pour prendre la direction de la Gaîté lyrique numérique, dont l’ouverture est prévue en 2010. Une première réaction ?

Une réaction de satisfaction d’abord, car nous avons déjà travaillé à ce projet durant plus de trois ans, en mobilisant des personnes, des enthousiasmes, des convictions. La satisfaction d’avoir fait un travail d’équipe depuis le début, d’avoir persisté et ainsi d’être arrivé à un projet précis et mûri.

Peu de choses ont filtré des projets en concurrence pour ce futur centre parisien des nouveaux médias et des musiques actuelles. Quelle sera la ligne que vous défendrez, entre le pôle musique, semble-t-il grand public, et le pôle nouveaux médias ?

Nous avons toujours défendu l’idée que les intitulés « musiques actuelles » et « arts numériques » sont des catégories qui doivent être interrogées. Cela correspond cependant à des réalités où les modes de production, de diffusion et de distribution, bref, les « économies », sont distinctes. Les pratiques culturelles et les différents codes sociaux qui vont avec sont aussi des réalités. A partir de ce constat, notre projet veut incarner la possibilité d’une approche « horizontale », rhyzomatique, une approche qui crée des connexions plus qu’elle ne se satisfait de circuits et de milieux cloisonnés somme toute bien/trop confortables. En ce sens, nous revendiquons un projet qui serait en accord avec l’une des notions importantes du fonctionnement des cultures numériques, celle de réseau. Cela permet également d’aborder la question de l’international et du local : c’est à dimension variable, de l’hyper local à la manifestation internationale sans différence de traitement et d’intérêt. En cela, c’est aussi un projet politique au sens où il veut donner des éléments de décryptage, en actes, du caractère à la fois dangereux (contrôle des individus et des groupes) et vecteur d’émancipation (capacité de production et de diffusion directe de sens).

Cela s’est traduit, en termes de méthode, par un projet construit sur quelques idées structurantes :

- Celle de plate-forme, dont je rappelle la définition du dictionnaire : « surface plane supportant du matériel et des hommes », « ensemble d’idées sur lesquelles on s’appuie pour présenter une politique commune ». La Gaîté est conçue comme un ensemble de plates-formes dont la mise en mouvement produit des connexions que j’évoquais plus haut. Par exemple, les plates-formes « médiathèque », « jeu », « invitation de labels » et « création en réseau » (ce sont des exemples parmi bien d’autres) sont mobilisées ensemble autour d’un artiste ou d’un projet. On a ainsi des chances de produire des projets singuliers qui suivent au plus près les démarches artistiques. Cela permet également d’échapper à la rigidité des catégories et des pratiques. Un même projet peut mettre en mouvement une logique de musique, d’installation, de jeu vidéo en réseau et de temps réel, par exemple. Il y aura également et bien sûr des formes plus repérables de type « concert » et là on touchera un public large a priori. Notre chance est de pouvoir légitimement, par « l’entrée » numérique, couvrir un spectre large. Mais pour revenir à votre question, nous n’abordons pas le projet sous le clivage musique populaire/arts numériques exigeants. L’esprit de la dernière Nuit blanche, quand on analyse sa composante « numérique », me semble assez parlante de ce point de vue. Les arts numériques les plus exigeants peuvent être généreux, c’est à dire s’adresser vraiment à des personnes. Pour conclure sur la méthode des plates-formes, disons qu’elle nous permet de penser le projet comme un hypertexte et de le vivre ainsi. Egalement pour le public.

- Celle de média. La Gaîté est pour nous un média, elle se situe « entre », elle sélectionne, elle commande, elle prescrit, elle conseille, elle revendique, elle partage ses choix. Elle ne prétend pas détenir seule une vérité, mais plutôt présenter une pluralité de regards pour faire émerger un esprit. Dans la méthode, disons qu’il y aura quelque chose de l’esprit « comité de rédaction » et la Gaîté elle-même intègrera la notion de direction artistique au sens d’un magazine. En ce sens aussi, nous souhaitons avoir une identité forte tout en étant sensible (comme une membrane) aux tendances, innovations, recherches.

D’ici l’ouverture, que se passera-t-il à la Gaîté, à part les travaux d’architecture ? Avez-vous l’intention d’opérer une préfiguration sur le Net par exemple, comme a pu le faire le Mudam à Luxembourg ?

Oui, nous prévoyons une préfiguration principalement sur le Net, avec une prise en compte de toutes les composantes du futur centre. Ce point est important pour la clarté des choses. Le lieu physique est très important, nous voulons en faire un lieu où on vient et où on veut rester. Avant le lieu réel, irremplaçable, c’est donc le lieu virtuel qui fonctionnera. D’autre part, nous envisageons un travail de proximité et de sensibilisation aux cultures numériques, là pas forcément virtuel, afin de préparer activement son arrivée sur un territoire bien précis, dans un environnement déterminé et déterminant.

En quoi le fonctionnement de la Gaîté (notamment avec son budget mixte, mi-privé mi-public) sera-t-il original ? Quelles sont vos intentions artistiques pour le lieu ?

L’économie de la Gaîté est en effet assez innovante dans le contexte français. Disons que la billetterie (ça c’est plutôt classique), sans être la première source, est un élément important. Ce que montre et fait ce centre a une valeur et cela doit se traduire dans les faits. Les tarifs proposés au public seront cependant très raisonnables, certains services seront gratuits, et c’est bien entendu la mission de service public dans laquelle ce projet prend place, ainsi que la volonté de la Ville de Paris de faciliter l’accès à tous types de publics aux formes les plus innovantes, qui ont guidé le « profil » de l’économie de la Gaîté. Le projet comporte aussi une médiathèque dont l’ampleur devrait en faire une des ressources importantes au niveau européen en matière de numérique. Autres éléments importants du point de vue de la singularité de notre économie : l’édition, la création d’un label spécifique, la diffusion, la création d’une boutique dont le concept sera inédit. Le savoir-faire et l’expérience de Patrick Zelnik est à cet égard une chance. Contrairement à une tendance dans les lieux culturels, nous n’avons pas de complexe quant à la mixité économique. Enfin, nous construisons le projet autour de partenariats importants qui contribuent à la tenue de notre montage, sur le fond comme sur les moyens. Mais n’oublions pas que nous sommes dans le cadre d’une délégation de service public.

Sur les intentions artistiques, j’insiste sur le pluralisme de notre approche : pas de chapelles. Des convictions fortes qui s’expriment dans un éclectisme de disciplines, de formes, de pistes de recherches. Les chercheurs justement, les universités, les festivals, éditeurs, centres, labels, collectifs, artistes qui nous sembleront les plus intéressants trouveront à la Gaîté un lieu d’échange, de production et de contact avec le public. Mais nous essaierons d’être toujours en mouvement. C’est vital compte tenu de l’incroyable rapidité de l’évolution technique, industrielle, symbolique et sociale à laquelle nous avons la chance de participer. Nous prenons soin de rester cependant vigilants, éviter toute fascination, toujours se rappeler que cette révolution que nous vivons doit préserver voire accentuer l’esprit critique. Le numérique par exemple n’annule pas l’analogique. Il le déplace sans doute, mais il peut en renforcer le potentiel. Le numérique n’est pas le clinique ! Sur les champs abordés : la diversité. Musiques, arts sonores, installations, interactivité, « nouveau cinéma », jeu, art du code, art du réseau, motion design, design, design graphique, illustration, animation, vidéoclip, VJing, danse, théâtre, cirque, documentaire, publicité, direction artistique, recherche technologique et recherche scientifique dans leur relation aux arts numériques et bien d’autres champs non évoqués ici ont leur place à la Gaîté, en complémentarité avec les autres équipements parisiens et surtout, en ce qui nous concerne, toujours autour d’un projet général précis.

annick rivoire 

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