Interview d’Isabelle Aveline, qui a tenu treize ans le portail littéraire Zazieweb, en mode « pause » depuis le 18 septembre.
Zazieweb, , l’équivalent d’un Myspace français du livre, a fermé en septembre, après 13 ans d’activité littéraire électronique. © DR
< 10'11'09 >
Isabelle Aveline : « Zazieweb était trop bricolo face à l’industrialisation des contenus du Net »

Zazieweb a fermé. Le portail de la littérature communautaire, l’un des ancêtres des réseaux sociaux, a annoncé le 18 septembre une « pause » partie pour durer : créé en juin 1996, aux tous débuts de l’Internet francophone, le Myspace des livres avait fédéré au fil des ans une communauté de lecteurs (22.000 membres inscrits, 250.000 visiteurs uniques par mois). Depuis plus de deux ans déjà, Isabelle Aveline, porteuse du projet, multipliait les rendez-vous pour trouver les moyens de faire migrer ce site bénévole, le dépoussiérer et lui trouver une pérennité économique. A l’heure des grandes manœuvres dans l’édition, de Google Books en passant par la bataille pour le livre électronique, c’est plutôt une mauvaise nouvelle sur le front de l’offre de contenus indépendants en ligne. D’autant qu’avant l’été, une autre « institution » de la culture livresque online se sabordait. La liste de diffusion Biblio.fr était portée depuis 1993 par des bibliothécaires internautes de la première heure. Pour conjurer le mauvais œil, poptronics s’en est allé interroger Isabelle Aveline.

Après cette annonce qui a mis tout le monde un peu KO, comment ça va ?
J’ai un sentiment de gâchis certes, mais aussi de soulagement. Fin 2008, j’étais quand même partie sur un projet soutenu par la région Ile-de-France, qui entendait fonctionner comme un centre du Livre avec la volonté de faire des choses sur le numérique. Je travaillais à la refonte de Zazieweb avec des informaticiens et des graphistes. En mai, j’ai appris que je n’aurai pas de subvention de fonctionnement. Il m’était impossible de refondre le site. Après avoir attendu le dernier moment que cette décision soit invalidée, j’ai fait une pause estivale puis décidé de tout arrêter. Ce n’est pas comme si je n’avais pas tiré la sonnette d’alarme depuis lurette, de la direction du livre au ministère de la Culture et à la Drac, je n’entrais dans aucune case.

Que devient la communauté des lecteurs de Zazieweb, et l’histoire de Zazieweb ?
Je me suis préoccupée des archives, dans le cadre du dépôt légal à la Bnf. Je voulais que les lecteurs aient la possibilité de visiter le forum mais j’ai voulu éviter l’effet Biblio.fr des « condoléances » (l’accès au forum est réservé aux seuls abonnés, ndlr). Ça fait des années que ça dure, j’ai vraiment essayé dans tous les sens de trouver un modèle économique. Dès 2006 avait été lancé un appel aux lecteurs avec un bouton Paypal, un SOS qui avait été très bien relayé sur d’autres blogs mais sincèrement, à peu près dix lecteurs ont dû alors s’abonner.

L’histoire de Zazieweb est-elle représentative des difficultés à voir émerger une économie des contenus sur le Net ?
Il existe un modèle économique, mais qui implique la participation de l’industrie. Pour le contenu, la meilleure solution est celle qui consisterait à taxer les fournisseurs d’accès. Zazieweb n’était pas positionné sur un service fort, vital. Nous aurions pu développer davantage la stratégie de mise en liens. Alors oui, d’accord, il y a des modèles économiques à travailler mais il faut s’appuyer sur la technologie. Zazieweb était trop bricolo, c’est le leurre des sites comme celui-ci qui reposent sur le bénévolat, il faut bien payer le serveur et les coûts de développement. Et puis, c’est cyclique sur le Net, les effets de lassitude où un outil chasse l’autre.

Si Zazieweb a connu une progression très forte au fil des années, jusqu’à 250.000 visiteurs uniques par mois, ça n’était pas suffisant pour en faire un objet pérenne ?
Zazieweb était au départ un site perso, je travaillais à côté et puis je me suis prise au jeu. Je reste persuadée d’avoir eu la bonne idée par rapport aux développements du livre numérique aujourd’hui, celle de travailler du côté des utilisateurs, du côté du réseau. Je suis convaincue que ça peut rouvrir, comme « la Spirale » qui est revenue sur le Net après quelques années d’interruption. Depuis un an, de toute façon, l’outil n’était plus opérationnel technologiquement. Aujourd’hui, l’acteur le mieux placé pour développer le projet que j’avais pour Zazieweb, c’est Google Books. C’est effrayant de voir l’emprise monopolistique de Google et l’absence de vision et de moyens dans les ministères sur ces questions.

Où les internautes vont-ils retrouver Isabelle Aveline ? Sur le Net ou autour du livre ?
M’intéresserait un beau projet web, un de ceux qui font le lien entre l’univers du Net et le monde physique. Mais franchement, j’ai atteint le seuil où la simple reconnaissance (« c’est très bien ce que vous faites ») et les commentaires du type « super, on va vous copier mais on peut pas vous recruter » ne suffisent plus. Cette activité bénévole était devenue une astreinte qui dans les faits me prenait trois à quatre heures quotidiennes. Exemple : à la rentrée, j’avais 50 demandes de mises à jour d’informations éditeurs, c’était devenu un service dû.

Est-ce selon vous la fin d’un certain esprit « libre » (bénévolat/participatif) sur le Net ?
Au début du Net, on marchait sur la Lune, on avait le sentiment d’être les premiers à expérimenter quelque chose, on était dix à vingt acteurs, un seul libraire avait un site, c’était complètement excitant. Chaque jour, on essayait un truc nouveau en ligne. La question du modèle économique n’est venue qu’ensuite. Zazieweb a duré et j’ai vu les projets passer, je me souviens des pages persos d’avant les blogs, de choses assez sensibles qui s’y passaient, des Multimania et Virtual Baguette. Zazieweb a duré plus longtemps parce que c’était de l’artisanat, de la bidouille mais pas techno, plutôt du qualitatif. Ça a tenu sur une certaine histoire du Net mais aujourd’hui on est confronté à une industrialisation, et les artisans voient leur public basculer sur les outils de blogs, les réseaux sociaux type Facebook. Le jour où une autre plateforme plus techno que Facebook apparaît, hop tout ça disparaît. De la même manière que Biblio.fr a disparu parce que l’outil, la mailing liste, était obsolète, les contenus diffusés auraient dû être adaptés à de meilleurs outils.

Quels regrets au final ?
Ne pas avoir eu les moyens de faire évoluer Zazieweb. Au tout début du Net, France 2 et Zazieweb, tout le monde était pareil, on n’avait tous qu’une pauvre page en HTML (le langage de programmation des pages web, ndlr). Mais on peut quand même continuer à être petit et puissant comme toi poptronics (euh, merci, on y est pas non plus tout à fait, ndlr).

Recueilli par annick rivoire 

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