La Force de l’Art 02 au Grand Palais, du 24/04 au 1er/06
, avenue Winston Churchill, Paris 8e, tous les jours sauf le mardi, lun-mer, de 10h à 19h
, jeu-ven-sam-dim, de 10h à 23h, 6 €
.
"Sans titre" (2005), Anita Molinero, l’une des rares femmes invitées dans cette Force de l’art (7 sur 43). © Denis Prisset Courtesy Galerie Alain Gutharc
< 11'08'09 >
Force de l’art, faiblesse de la propagande

(Pop’archive). Bis repetita. Plongeons dans la propagande 100% made in France. La première « Force de l’art » initiée par Dominique de Villepin, en 2006, était un vaste foutoir, avec pléthore de commissaires venus présenter leurs artistes préférés. Même si la défense d’un art français semble un argument bête comme ses pieds à l’heure de la globalisation, et flirte dangereusement avec le pire, cette année, l’idée se transforme en désagréable ritournelle… Rappelez-vous, « So Feucking French », début octobre à Londres, exposition initiée sous la houlette de Christophe Avella Bagur et de Michel Castaignet pour revaloriser la peinture française. L’humour en moins, les sous en plus, la deuxième édition de la triennale d’art contemporain du ministère de la Culture, qui ouvre ses portes ce vendredi au Grand Palais et dans plusieurs autres lieux de la capitale, c’est pareil mais en pire.

Commissaire ou émissaire gouvernemental ?
Aux commandes, trois commissaires, Jean-Louis Froment, Jean-Yves Jouannais et Didier Ottinger (officiant au centre Pompidou), associés à l’architecte Philippe Rahm, sont chargés de mettre en avant ce que l’Etat français pense produire de mieux en art – du moins dans l’art d’enlever toute substance politique et toute radicalité aux œuvres.

Cette seconde triennale se veut bien-pensante, quitte parfois à prendre les spectateurs pour des décérébrés congénitaux. Et surtout lisse. Lisse comme la structure intitulée « Géologie blanche » conçue par Philippe Rahm. Le site internet de la manifestation est plus que documenté –histoire de donner envie de vomir avant même d’entrer dans le lieu (oups, lapsus il fallait lire l’envie de venir…), où les commissaires posent et expliquent clairement leur projet, un par un, tels de braves émissaires gouvernementaux. Et où la page d’accueil montre la jolie photo de famille de la ministre avec ses artistes…

Regardons le site, lisons et tentons d’y comprendre quelque chose : l’architecture est mouvante, s’étire pour que chacune des pièces y trouve une place voire sa place, nous indique l’architecte. Au final, vu du haut de l’escalier ou de l’œuvre de Wang Du, c’est un serpentin, et vu d’en bas comme par un visiteur Lambda, ça rend le parcours totalement vide de sens… Des trouées de lumière pour le passage et certaines pièces monumentales quand d’autres œuvres semblent posées maladroitement dans l’espace, sans bénéficier de véritable cloison pour les séparer. Quant aux sacs plastiques de Kader Attia, ils sont simplement relégués en dehors de la banquise architecturale. Bref, des cloisons qui ont la prétention de ne pas vouloir s’appeler cimaises. Dommage, car sur le papier ou l’écran, l’idée d’un paysage blanc qui viendrait prendre corps sous la nef séduisait. La scénographie se fait lourde et le projet s’embrouille voire empêche parfois de distinguer les parties, les œuvres, les installations. Un exemple : la vidéo de James Coleman, placée sous la verrière entourée de blanc où la lumière se reflète tellement qu’il est quasiment impossible de la visionner correctement à moins bien sûr de se munir de ses lunettes de soleil, accessoire pas forcément indispensable pour une exposition.

Vieux artistes contre jeune création...
En 2009, la Force de l’art, avec son budget de 4 millions d’euros (financé aux trois-quarts par l’Etat), fait preuve d’initiative en convoquant six « visiteurs ». Cette dénomination est sortie directement d’un cerveau en proie au crétinisme ambiant du marketing culturel, et pire, suggère une distinction entre artistes âgés pour ne pas dire vieux, bénéficiant une reconnaissance internationale, et les « petits jeunes » placés sous la nef que le même cerveau appelle « les résidents ». Les vieux en dehors, pour le décorum, et les jeunes à l’intérieur… En langage commun, on appelle cela une extension hors les murs du projet, mais c’est moins « tendance » !

Les « visiteurs », donc, pas l’équipe comique du film, mais des artistes tels Annette Messager, Orlan, Daniel Buren, Pierre et Gilles, Gérard Collin-Thiébaut, Bertrand Lavier, installeront (mais pas en même temps, il faut rythmer la triennale, six semaines, c’est long !) une œuvre à divers endroits de la capitale. Annette Messager fera s’entrechoquer deux mondes fragiles, volants, au Palais de la Découverte tandis que Daniel Buren investira le Grand Palais. Quant à Pierre et Gilles, ils animeront l’église Saint-Eustache avec « La Vierge et l’Enfant ». Une Vierge en robe griffée Christian Lacroix. Gérard Collin-Thiébaut ira s’amuser à titiller les grands maîtres au Louvre. Il proposera un accrochage de quelques-unes de ses « Transcriptions », œuvres réalisées à l’aide de puzzles représentant des tableaux classiques. En guise de pied de nez à l’exposition et au chauvinisme politico-culturel, Bertrand Lavier dérègle l’horloge servant à illuminer la tour Eiffel.

Où sont les femmes ?
Passons donc aux « résidents », soit les jeunes sélectionnés… On y croise trop peu de femmes (on retiendra les travaux d’Anita Molinero) comme l’a souligné le collectif La Barbe, jeudi 23 avril lors du vernissage presse, avant d’être encadré par le service de sécurité. Seul un des trois commissaires s’est approché pour entamer une discussion. Il semble pourtant légitime que les artistes femmes, les Véronique Boudier, Rebecca Bournigault, Valérie Mréjen, Isabelle Cornaro, Sophie Dubosc, Emma Dusong, Delphine Gigoux-Martin, Delphine Kreuter, Claire Fontaine, Claire Lesteven, Natacha Lesueur… et la liste est longue, soient aussi bien représentées que les hommes. Sans nul doute, elles auraient été une force (de proposition) de l’art. Proposition moins affligeante que celle du Gentil Garçon qui, une nouvelle fois, après son pathétique géant lors de la Dégelée Rabelais, inflige aux spectateurs un décor hivernal, ambiance gros flocons. Pas de propos, de comique, de design, tout est vide comme la pseudo-carotte, phallus missile qui transperce le visage de son pseudo-bonhomme de neige… On l’oubliera vite. Sur le même thème, on préfèrera la très belle série photographique de David Lynch regroupée dans un album sorti en 2007, à l’occasion de son exposition à la Fondation Cartier

Les rescapés de la Force de l’art
Tout se passe comme si les commissaires de la manifestation avaient choisi de ne pas prendre de risque. Pas de vagues, surtout pas de vagues, les œuvres (que l’on a toutes déjà vues cette année ou l’année dernière), sont celles qui dérangent le moins. Sans doute qu’un peu trop de ces pièces sont naïves, à l’instar de celle de Fayçal Baghriche. Sa sculpture « Enveloppement » ou sa collaboration avec Claude Lévêque à la galerie La Bank en 2008 étaient d’un tout autre registre. Si la Force de l’art a une seule utilité, c’est finalement de permettre des séances de rattrapage pour le petit milieu de l’art contemporain qui ne met pas les pieds hors de Paris le reste de l’année (sauf à l’étranger, bien sûr).

Quelques pièces viennent sauver cette triennale de la noyade, notamment le jardin de Michel Blazy, entouré de fausses lianes : véritable îlot tragi-comique. On retrouve avec grand plaisir la ville imaginaire du « Glooscap » d’Alain Bublex, qui pour l’occasion a reconstruit une salle d’exposition visible à travers une unique vitre. Stéphane Calais nous réinvite dans la « Chambre de Schultz ». Dommage qu’elle ne soit pas aussi bien mise en valeur que lors de « l’Amour » au Crédac... Deux autres petits bonheurs viennent ponctuer l’ensemble : le premier, l’installation de Julien Prévieux qui, de diagrammes en bibliothèque circulaire, donne à penser et à réfléchir sur la portée des lectures et des sciences. Le second est cet espace entièrement dédié au POF (Prototype d’Objets en Fonctionnement) de Fabrice Hyber : enfin un peu d’ironie et de sagacité dans cette Force de l’art.

Et le marché en filigrane
Le marché, même non nommé, n’est jamais loin, ce qui explique que des artistes soutenus par de jeunes galeries soient tout bonnement évincés. Et comme les œuvres multimédias sont souvent le parent pauvre de ce genre de manifestation, les commissaires ont demandé à Anne-Marie Morice, la fondatrice du centre d’art virtuel Synesthésie, de programmer une sélection d’œuvres partie prenante de sa collection, dont celles d’Isabelle Grosse, de Tsuneko Taniuchi, de Locus Sonus, etc. Cette initiative, ainsi que les diverses séries de concerts et de projections, tenteront de sauver cet événement ô combien politique. Qui promeut un art proche du décoratif, quitte à plier le sens des travaux sélectionnés, plutôt qu’une réflexion sur l’état actuel de la création en France.

Cet article a été publié la première fois le 24 avril 2009.

cyril thomas 

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< 6 > commentaires
écrit le < 25'04'09 > par < jjbirge Eyh drame.org >
http://www.drame.org/blog/index.php ?2009/04/24/1322-la-farce-de-l-or-ou-le-salon-de-l-etalagiste
écrit le < 29'04'09 >
Je suis plutôt d’accord sur le fond (le budget, le name-dropping, la place des femmes) mais il me semble que tu oublies tout de même de citer quelques oeuvres plutôt impressionnantes, en tout cas pour moi le flâneur : je parle de celle, tout à fait saisissante, a fortiori dans le cadre du Grand Palais, de Siboni/Giraud, ce cube noir sur pistons, qu’on peut contempler longtemps, avec une certaine fascination, comme s’il était doté de vie ou qu’une force l’habitait et voulait s’extirper de sa carcasse massive. J’ai adoré la tête du préposé à la surveillance de l’"oeuvre" de Boussiron, qui réussit sa mission de saturation, grâce à sa chanson débile hurlée ad lib. En ce qui concerne le globe de Fayçal Baghriche, je trouve sa naïveté très émouvante, il m’a rappelé Le dictateur de Chaplin. Par contre, en ce qui concerne les lectures de Proust, on est en droit de se dire, mais laissez Proust là où il est, ne nous infligez pas toutes ces pénibles ânonnements. Mais ce n’est rien comparé au défaut majeur de cette Force de l’Art 09 : la relégation des arts dits "numériques". Un écran plasma dans un coin, entre les toilettes et la buvette, c’est tout de même un scandale et une incompréhension de certains enjeux des arts visuels (et non "virtuels", ainsi qu’est désigné l’emplacement du plasma). Les vidéos diffusées sont connues et intéressantes (Nicolas Boone etc..) mais déposées là comme un cache-sexe ou un vernis numérique à faire passer la moindre galerie de la rue Louise Weiss pour un parangon de radicalité. Donc bilan très mitigé, moins catastrophique que prévu (rappelons enfin que les artistes ne sont pas rémunérés pour leurs oeuvres). Benoît Hické
écrit le < 01'05'09 > par < elka DqT elka.com >
tiens didier ottinger qu’est devenu grand. Malgré la courbure dorsale nécessaire, non ? didier dis ?. je l’ai rencontré quand il était conservateur du musée des sables d’olonnes. Je ne vois pas en quoi cela est choquant cette foire au forceps de l’art pliable et pliée. Pas de grands airs. Première question du provincial : est-ce que Courbet a construit un chapiteau à proximité ? Souvenez vous l’état chiait du Gérome quand Courbet chait du chef d’oeuvre. Plus personne ne parlera de Buren dans 20 ans sinon comme l’on parle de Vasarely aujourd’hui. Avec un sourire malsain... Qui abattra la colonne vendôme aujourd’hui ? Vous les critiques ? Vous les flâneurs ? Allez...allez. C’est le ’salon’ que l’on remet en place. Signe qu’un jour peut-être on remettra en place la justice d’exception. Alors tout ira très vite. J’espère y être. Encore en vie. VLK
écrit le < 05'05'09 > par < camillataube 4o6 hotmail.com >
Claire Fontaine, c’est du deuxième degré ? (c’est un duo - une femme et un homme..qui lui permet de rentrer dans la "cour des grands" ?)
écrit le < 28'05'09 > par < email YNo c-x-p.net >
j’ai bien peur que ce ne soit pas là du 2 ème degré... mais par ailleurs pour 3min31sec de visite gratuite : http://ericsevy.blogspot.com/2009/04/triennale-parce-que-vous-le-valez-bien.html eric sevy
écrit le < 11'05'09 > par < baudouin.nicolas YLB wanadoo.fr >

L’art contemporain français est-il une cosa mentale ?

La Force de l’art 02 (L.F.D.A.02) a ouvert ses portes le 24 avril pendant les vacances scolaires de printemps de la zone C (Paris et sa région). Cela est-il un choix stratégique de la part des organisateurs afin d’attirer la future génération d’artistes et de les convaincre de l’intérêt d’une pratique artistique contemporaine ? Toujours est-il que cette 2e édition de la Force de l’art est profondément décevante, voire irritante, par la pauvreté et la prétention du propos. Le premier effet une fois entré sous la verrière du Grand Palais est de découvrir l’espace vide qui entoure la « Géologie blanche », dispositif d’exposition dont on ne sait par quelle entrée l’aborder. Une armée de médiateurs assistés d’autant de gardes de sécurité habitent comme ils peuvent les centaines de mètres carrés inutilisés. Le café/bar/restaurant expose telle une installation, une quantité impressionnante de tables et de chaises vides (c’était un jeudi après-midi).

Chaussons nos lunettes de soleil et pénétrons donc dans ce labyrinthe aveuglant de lumière afin d’y découvrir les trésors qui s’y cachent. Un simulateur de vol est présenté par Fabien Giraud et Raphaël Siboni. Un Döner kebab géant constitué de photographies empilées les unes sur les autres et invitant les visiteurs à en couper une tranche est l’œuvre de Wang Du. Butz&Fouque nous présentent quant à eux une série de photos de jeunes filles coquines quelque peu déshabillées. Virginie Yassef a reproduit à l’échelle réelle les traces laissées par les griffes d’un dinosaure sur un immense mur de béton peint en vert. Anita Molinero nous propose un bouquet de poubelles rouges déformées par la chaleur (le feu) et pendues au plafond dans un espace impeccablement blanc nous faisant oublier que nous sommes au Grand Palais en recréant l’espace d’une galerie d’art contemporain. Et finalement, Le Gentil Garçon (oui, c’est son nom d’artiste), nous invite à pénétrer à l’intérieur d’un flocon de neige géant habité par un bonhomme de neige au nez de carotte…

Heureusement, certaines œuvres moins spectaculaires dans leur mise en scène viennent rassurer le visiteur en quête d’un peu de gravité et de densité ; il remarquera en particulier le travail de Véronique Aubouy autour de La recherche de Proust, vidéo de plus de 80 heures nous présentant une succession de personnes invitées à lire, chacune dans un environnement spécifique, quelques pages de l’œuvre de Proust.

L’impression générale au sortir de l’espace d’exposition relève d’une profonde frustration de voir ainsi l’art contemporain français associé officiellement à tant de superficialité. Faut-il donc que l’art contemporain se conjugue à divertissement pour pouvoir justifier d’un tel événement et de l’investissement de fonds publics ? Même Daniel Buren semble n’avoir été que peu motivé dans son intervention in situ alors qu’Orlan a été claire en choisissant de s’exposer (en cire) au musée Grévin aux côtés de stars françaises telles Johnny et Zidane…