Gerard Petrus Fieret, exposition du 26 mai au 28 août 2016, LE BAL (conception et production LE BAL, CAMERA, Centro Italiano per la Fotografia à Turin, le Fotomuseum Den Haag à La Haye), 6, Impasse de la Défense, 75018 Paris. Ce vendredi de 12h à 20h, samedi de 11h à 20h, dimanche de 11h à 19h, 6€ plein tarif, 4€ tarif réduit.

Catalogue « Gerard Petrus Fieret », 297 photos NB, textes inédits de Wim van Sinderen, Violette Gillet, Francesco Zanot, Hripsimé Visser, bilingue français/anglais, 592 pages, LE BAL et Xavier Barral Éditions, 47€.

Un des multiples autoportraits de Gerard Fierer, « sans titre », à voir au BAL (le tampon est de l’artiste). © Gerard P. Fieret, 1965-1975. Gemeentemuseum Den Haag, Courtesy Estate of Gerard Petrus Fieret
< 26'08'16 >
Derniers jours : Gerard Petrus Fieret, doux iconoclaste

Il n’est (presque) pas trop tard pour aller prendre doublement le frais (fraîcheur de la clim’ bienvenue en ces temps caniculaires, et surtout fraîcheur de la proposition que nous fait LE BAL à Paris) avec la première rétrospective hors Pays-Bas de Gerard Petrus Fieret (1924-2009). On y découvre un artiste dit « inclassable » parce qu’il est furieusement libre, qu’il implose tous les codes de la photographie et des arts visuels, quand bien même son œuvre remonte aux années 1960, qu’elle est exclusivement en noir et blanc, qu’elle ne clignote pas et n’évoque pas le moindre pixel.


« Sans titre », comme les 200 tirages exposés au BAL de Gerard Fieret. © Gerard P. Fieret, 1965-1975. Gemeentemuseum Den Haag, Courtesy Estate of Gerard Petrus Fieret

Le Néerlandais Gerard Fieret était poète, photographe, tamponneur, violoniste à ses heures, avait un chat aveugle avec lequel il vivait en bonne compagnie dans un sous-sol aux fenêtres obscurcies pour passer tout son temps à tirer ses images. De 1965, quand il achète son premier appareil, un Praktiflex, jusqu’en 1975 où il abandonne la photo (pour aller vivre avec les pigeons...), l’homme photographiait comme d’autres respirent, et a construit une œuvre douce et subversive, obsessionnelle et pointilliste, où deux motifs reviennent, lui et les femmes. Dans les compte-rendus (nombreux) qui ont accompagné cette première monographie s’impose le leitmotiv d’un photographe qui aimait les femmes. Et les formes des femmes : genoux, coudes, nuques, hanches, jambes… A ceux qui croiraient se rincer l’œil dans une exposition sulfureuse d’images érotiques, on conseillera d’aller prendre le frais ailleurs. Jamais il ne verse dans le voyeurisme ni la grivoiserie. Ses nus, ses portraits d’anonymes, de femmes maigres ou grosses, qu’il fait poser avec des postiches ou d’autres accessoires grotesques, qu’il prend dans la rue, n’ont rien d’obscène ni de pornographique.


Sans titre. © Gerard P. Fieret, 1965-1975. Gemeentemuseum Den Haag, Courtesy Estate of Gerard Petrus Fieret

De ses images foutraques, aux tirages aléatoires (du fait de conditions de conservation hasardeuses mais également d’une forme de paranoïa de l’artiste, qui, faute de reconnaissance, se prendra à les tamponner, ou, a contrario, à laisser l’environnement les faire vivre et se dégrader), se dégage une forme d’innocence, de spontanéité rarement vue dans l’art de l’instantané qu’est la photographie. La co-commissaire Diane Dufour explique comment ces 200 tirages d’époque ont été « sauvés de conditions extrêmes de production et d’une vie nomade d’ateliers en abris : obtenus à partir de produits chimiques et de papiers périmés, parfois séchés et brûlés à la bougie, exposés délibérément aux accidents de la vie quotidienne – poussière, traces de pas, griffures, déjections de souris ou pigeons ».


Photogramme du film « Gerard Fieret, fotograaf » (1971), à voir dans l’expo. © Jacques Meijer

C’est doux, c’est tendre, c’est drôle, jamais pompeux ni obscène, toujours noir et blanc, en fractions, en séquences, apparemment sans ordre ni hiérarchie, puisqu’il refusait de choisir, aimant l’anarchie (il a croisé le mouvement Provo) et posant en autodidacte : « Je fabrique de l’art visuel. Je trouve le mot “artiste” trop restrictif. »


Sans titre © Gerard P. Fieret, 1965-1975. Gemeentemuseum Den Haag, Courtesy Estate of Gerard Petrus Fieret
Couverture du catalogue « Gerard Petrus Fieret ». © DR

Dans le catalogue publié à l’occasion (et qu’on recommande à ceux qui n’auront pas pu aller voir l’exposition), Francesco Zanot, directeur artistique de CAMERA (Centro Italiano per la Fotografia à Turin), co-concepteur de l’exposition, écrit : « Il ne jette rien. Aucun raté, aucune erreur. Si deux images se ressemblent, ce sont deux variantes également appréciables, isolément ou ensemble. Cela vaut aussi pour les tirages. Non seulement il peut exister plusieurs versions (parfois à grande échelle) d’une même image, grandes ou petites, claires ou sombres, solarisées ou non…, mais leur état de conservation n’impose aucune hiérarchie. Même vieux, abîmés, mouillés, tachés, les tirages restent toujours valables. »


Vue du labyrinthe de l’exposition au BAL. © Martin Argyroglo

La scénographie répond admirablement à l’état d’esprit de Fieret : une sorte de labyrinthe de cimaises, dont on fait le tour sans trop savoir dans quel sens il faut aller avant de comprendre qu’il n’y a pas de sens a priori, sans cartels non plus sauf quelques citations, avec des petits, moyens et grands tirages, certains furieusement tamponnés (clin d’œil uchronique aux copyrights interminables d’aujourd’hui ou à la fin du droit d’auteur…), d’autres tirés en négatifs, d’autres encore, archives familiales dont il n’est pas l’auteur mais qu’il s’est appropriées. De même que ses autoportraits jamais ne relèvent de la tendance selfie autocentrée du moment, il semble toujours ouvrir l’œil avec curiosité et sans a priori sur le monde qui l’entoure. On lui laisse le dernier mot : « C’est descartien. Je prends l’appareil photo, mon troisième œil, j’observe et je me vois dans le monde réel, donc je suis. »

annick rivoire 

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