Concours d’architecture Eiffel, exposition jusqu’au 12/04 à la Cité de l’architecture, 1 place du Trocadéro, Paris 16e (gratuit).
La tour remplacée par un écran : "Full Screen". "Si finalement la tour Eiffel n’est qu’une image, rendons-la image". Valentin Cordebar, Thomas Dantec, Etienne Mares et Raphaël Masson de l’Ensa de Versailles. © DR
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Déboulonner la tour Eiffel, mode d’emploi

« Concevoir un édifice de très grande hauteur sur le Champ de Mars à Paris : à distance, accolé, ou à la place même de la tour Eiffel. » Tel était l’intitulé du concours pour étudiants en architecture organisé pour les 120 ans de la Dame de fer par la Fondation de la société de la tour Eiffel. Les résultats de cet appel à jouer avec la tour la plus iconique de Paris sont exposés en ligne, et à la Cité de l’architecture jusqu’au 12 avril.

Un cahier des charges avec objectif : classique pour un concours d’archi. Ce qui l’est moins, c’est son sous-titre : « Devenez un monument national. » Comment s’approprier un édifice qui ne sert à rien, conquérant de l’inutile, dressé comme une prouesse technique sur la ville à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889 ? Que faire d’un symbole, dont l’histoire s’est déjà chargée d’analyser les enjeux ? Gustave Eiffel lui-même n’avait dû la survie de sa tour, largement critiquée à l’époque et dont la destruction avait été envisagée après l’Exposition universelle, qu’à la valorisation de son intérêt scientifique : station d’observation météo, émetteur radio…. Un essai plus que transformé par l’exploitation touristique.

« Regard, objet, symbole, la tour est tout ce que l’homme met en elle, et ce tout est infini, (…) à travers la tour, les hommes exercent cette grande fonction de l’imaginaire, qui est leur liberté. » Comme une réponse à cette phrase de Barthes, 200 étudiants (soit 91 projets) se sont portés candidats. Dégagés des contraintes de budget ou d’urbanisme, leurs travaux, qui ne sont pas destinés à sortir de terre, oscillent entre onirisme, spectaculaire, applications pratiques, viabilité économique, jeu avec les problématiques de grande hauteur à Paris, préoccupations écologiques… à côté, autour, en face, sur, mais jamais à la place de la tour, à l’exception de seulement quatre projets. Difficile de déboulonner le symbole ? Comme le résument deux étudiants, « plus icône qu’objet architectural, (elle) bénéficie d’une image tellement forte que toute modification paraît "inenvisageable" ».

Alors ils s’en sortent autrement, inventant, non pas une autre tour Eiffel, mais tournant autour, la voilant, l’enfermant dans une nouvelle peau, la parasitant, lui mettant la tête à l’envers, lui créant une excroissance, ou lui accolant un double en contrepoint. Comme autant d’exercices de style. Sur le mode futuriste : aéroport vertical de 900 mètres de haut ; surréaliste : articuler les jambes de la tour pour qu’elle arpente le monde ; érotico-ludique : vis-à-vis renversé en 69 ; joueur : capturée dans une boîte pour que « ses visiteurs se tournent vers elle et non plus vers le panorama qu’elle offre » ; numérique : maillage de pixels accrochés sur la tour comme une plante grimpante ; respectueux : voilage, écrin, dentelle, seconde peau, parure ; démocratie participative : « 23 étages en attente dont l’évolution ne dépend que de l’utilisation qu’en fait la population » ; boîte à coucou : diffuseur d’images ; société du spectacle : tour rasée remplacée par son image en LED ; écolo : jardins, centrale solaire, parc éolien ; « chers administrés » : complexes multiculturels à la pelle, etc. Ces deux derniers genres constituant la reformulation la plus « moderne » du propos (comprendre dans l’air du temps), avec la mutation de la tour en objet économique : logements, bureaux, infrastructures touristiques, complexe hôtelier, centre commercial.

Et le grand gagnant du concours d’architecture est… un étudiant en design (à Lisaa, l’Institut supérieur du design à Paris). Une révélation en forme de coup de théâtre lancée par le lauréat, Nicolas Mouret, sur scène lors de la remise des prix mardi 31 mars : « L’architecture est une passion, j’avais envie de m’exprimer dans ce domaine. Comme je ne pouvais pas passer par la grande porte, je suis passé par la fenêtre, et j’ai falsifié ma carte d’étudiant. » De quoi faire rire (jaune) dans les couloirs de la Cité de l’architecture remplie d’un aréopage d’architectes et d’étudiants. Et son projet « Phyte », « une tour de 380 mètres qui sort de terre au bout du Champ de Mars et se balance au gré des vents », surplombant d’une tête les éléments statiques de la ville, n’aura donc eu les honneurs que d’un soir, avant d’être déchu pour non respect du règlement. Atmosfer, atmosfer.

Couronnant une vision plus pragmatique, la nouvelle première place revient donc à l’aménagement de la tour en hôtel. Commentaire du jury : « Aux jours de crise financière, il est assez instructif de savoir reconnaître que même le plus gratuit des objets urbains devient un bien foncier. » Suivent « Réflexion » qui isole la tour dans une boule à neige, sphère d’espace et de lumière, le très beau « Le chêne et le roseau », forêt architecturale sur passerelles et pilotis au pied de la tour, et « Les dessous de la Dame de fer », qui creuse entre ses jambes pour y enfouir parkings et infrastructures touristiques.

julie girard 

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