Interview de Pascal Froissart, spécialiste de la rumeur.
Pour Cécilia, quitter le devant de la scène présidentielle n’implique pas pour autant la désertion de la scène médiatique. © DR
< 26'10'07 >
Cécilia-Nicolas : « Pas moyen de ramener la meute à la raison »

La rumeur a désenflé, mais Cécilia et Nicolas sont plus que jamais en Une (« Paris Match » avec le président qui fait la tronche, « Elle » avec Cécilia digne et retouchée numériquement, « Point de vue » qui titre sur « le temps de la solitude », « Marianne » qui vend « pourquoi elle le quitte… pourquoi elle les rend tous fous », etc.). Pourquoi un tel emballement  ? L’Internet et la « blogosphère » ont-ils été les boucs émissaires d’une presse donneuse de leçons ? Pascal Froissart, chercheur ès rumorologie, auteur notamment de « La rumeur, histoire et fantasmes » (ed. Belin, 2002) et plus récemment de Buzz, bouffées d’audience et rumeur sur Internet », paru dans Médiamorphoses, la revue d’analyse des médias publiée chez Armand Colin, et en téléchargement sur le site très complet de l’universitaire.


Comment expliquez-vous ces deux semaines de surchauffe médiatique autour de la « rumeur », jusqu’à ce qu’elle devienne information ?

Le schéma de la rumeur qui se transforme en information me dérange sur le plan théorique. Les deux semaines qui ont vu surgir cette campagne médiatique et sa conclusion m’apparaissent comme un phénomène extrêmement normal. Il est dans l’ordre des choses que les journalistes s’interrogent sur la vérité. Ce qui apparaît plus nouveau en revanche, c’est le lien fait entre rumeur et information qui donne l’impression que c’est la même chose. Alors qu’il était jusque-là associé à une diffusion incontrôlée, en masse et imprévisible, le terme rumeur est depuis une trentaine d’années lié au métier de vérification de l’information. Alors que tout un tas d’infos non contrôlées ou non vérifiées ne sont pas de l’ordre de la rumeur. Dans le vocabulaire journalistique, le mot est requalifié comme celui qui recouvre l’incertitude de l’information.

Est-ce dû à la prolifération des blogs ? Autrement dit, l’Internet est-il le grand responsable de la propagation de la rumeur ?

Auparavant, on ne prêtait pas la même attention à la vox populi, comme on ne prêtait pas le même crédit aux sondages. Le divorce des Sarkozy est devenu LE sujet intéressant et social, avec microtrottoirs et commentaires, qui tous écrivent « la blogosphère crépite ». Comme si le simple fait que ça se diffuse donnait de l’importance à ces commentaires. Comme si la blogosphère était aujourd’hui capable de diffuser des infos, vraies ou pas.

N’est-ce pas parce que les journalistes ne pouvaient pas sortir l’information sur le divorce qu’ils ont autant parlé « rumeur » ?

Rien n’est moins sûr. La presse n’est pas si frileuse face aux hommes politiques. Prenez Mitterrand avec son cancer, dès le début des années 80, tout le monde pressent qu’il cache des trucs sur sa santé. Même si on le sait de source sûre, quand on lui pose la question « avez-vous un cancer ? », il répond : « non, je n’ai pas de cancer ». Aucun journaliste ne peut publier un article, ça dépasse complètement le problème du président, c’est plutôt quel crédit donner à la parole de l’un ou l’autre interlocuteur. Pour revenir à Sarkozy, peut-on reprocher aux journalistes de faire leur boulot et de ne pas publier l’information tant qu’elle n’est pas confirmée ? Une fois l’acte officiel entré dans les annales, la procédure entamée devant le juge, là, l’information peut sortir. Ce qui se passe dans la chambre à coucher des Sarkozy n’intéresse personne, c’est plutôt le côté historique de la situation d’un président en exercice qui divorce qui fait information. Le curseur du problème n’est pas sur l’information en elle-même mais plutôt sur l’impatience des journalistes n’ayant pas l’information qui se rabattent sur les allégations.

Les médias n’ont-ils pas tout simplement pensé à « nourrir la bête » (un œil sur les chiffres de vente, un autre sur le nombre de connexions) ?

Cracher dans la soupe serait malvenu puisque tout le monde y a participé, y compris Laurent Joffrin (de « Libération », ndlr) et ceux qui criaient haro sur la meute, type Daniel Schneidermann. Nous sommes aujourd’hui dans un système où tous les journalistes se surveillent les uns les autres. Même pour ne rien dire, les médias préfèrent faire monter la sauce plutôt que de ne rien faire. Ce qui est plutôt embêtant dans le champ journalistique, parce que ça peut mener sur de fausses informations et de faux débats, comme l’a montré l’affaire Baudis.
Curieusement cette fois-ci, les médias audiovisuels (qui n’avaient pas d’images à se mettre sous la dent) ont été plus en retrait. Et le phénomène est resté parisien. C’est étonnant que l’écrit se trouve plus bavard et donne ainsi naissance à une telle bouffée de rumeur. Tous les journalistes se sont mis à commenter les commentaires, sans garde-fou. Pas moyen de ramener à la raison la meute. Pas moyen de refroidir cet emballement. A leur décharge, le milieu n’est pas facile et la concurrence entre journalistes est féroce.

Et l’Internet « bouc émissaire » de la presse, qu’en pensez-vous ?

La blogoshère est en fait d’une diversité extrême, le blog de Morandini ou celui de Schneidermann ne sont pas la blogosphère. 9 millions de blogs sont ceux de lycéens qui ont tout au plus cinquante contacts par jour et qui ne parlent pas du divorce Sarkozy… Dans la vie politique, la blogosphère est un prétexte pour donner lieu à un commentaire… qui vient des blogs de journalistes. La responsabilité des journalistes n’est pas engagée dans cette affaire sur le plan professionnel de l’investigation (absence de nouvelle avant que le divorce ait été prononcé par le juge). En absence d’information, apparaissent des pseudo-événements qui ne sont créés que par des non-événements. Il n’y a pas possibilité de revenir sur toute cette fumée de commentaires. Il n’y a aucun moyen de réguler ce système-là quand il s’échauffe. Les Américains ont tenté l’intégration d’ombudsmen dans les rédactions, mais ceux-ci n’ont aucune autorité et peu de places dans les journaux. On revient toujours à la responsabilité individuelle des rédacteurs en chef.

Et si la rumeur avait aussi servi à préparer l’opinion à l’information (le divorce présidentiel) ?

On peut utiliser la rumeur mais pas dans ce contexte d’emballament médiatique. Et puis, la France n’a pas ce genre de culture : les cas connus d’emberlificotement de la presse sont plutôt dans l’économie ou la barbouzerie, pas dans la politique. Même si Nicolas Sarkozy a multiplié le nombre de journalistes au service de presse de l’Elysée et a bien compris le fonctionnement médiatique, il n’y a aucun moyen de savoir quelle était l’intention. On reste et on restera dans le commentaire, quand bien même le président en parlerait dans ses mémoires.

annick rivoire 

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