Cao Fei, exposition jusqu’au 25/05 au Plateau, Frac Ile-de-France, 22, rue des Alouettes, Paris 19e (entrée libre).
« Whose Utopia » (2006), vidéo pour laquelle Cao Fei s’est installée pendant 6 mois dans l’usine d’ampoules Osram en Chine. © Coll Frac Ile-de-France/ DR
< 19'05'08 >
Cao Fei, la jeune garde chinoise

Pour sortir des clichés sur la Chine qu’on nous sert un peu partout, rien de tel que l’exposition, la première personnelle qui lui soit consacrée, de Cao Fei au Plateau-Frac Ile-de-France, jusqu’au 25 mai. La production plastique de Cao Fei, jeune artiste chinoise, développe une étrange relation à l’histoire, celle de ses origines familiales en premier lieu puis celle des bouleversements économiques et socioculturels qui traversent la Chine actuellement. Déjà en 2000, avec « Imbalance 257 », elle décrivait une société au bord de la schizophrénie en suivant un groupe de jeunes artistes. Lors de la dernière Biennale de Venise, sous un dôme translucide dans les jardins de l’Arsenal, elle présentait une œuvre sur Second Life qu’elle signait sous son nom d’avatar « China Tracy ».

Au Plateau à Paris, elle compile ses travaux antérieurs, entraperçus à la dernière Biennale de Lyon et ouvre le bal avec le film de la rencontre de deux avatars. Les extraits de « I Mirror, a Second Live Documentary Film By China Tracy » daté de 2007, visibles ici, ou encore se présentent sous la forme documentaire, dégagée de toute revendication, mais il n’en est rien. Sous la forme d’un long clip musical, son film interroge les potentialités de fiction de l’univers virtuel. Dans les îles de Second Life, la rencontre très romantique entre les deux avatars n’est que le prétexte à un questionnement métaphysique sur la place, le rôle et l’idée d’identité.

A travers le dialogue des deux avatars, sorte de vague bavardage, « - why you enjoyed SL ? » « - i’m looking for something », nichés dans un wagon d’un train aérien, métaphore du cocon, les paroles basculent de la banalité vers un autre enjeu mélangeant le philosophique à l’artistique. Cao Fei positionne Second Life et se positionne (avec son, ses avatars) dans la situation d’Alice s’engouffrant de l’autre côté du miroir ou celle de Jean Marais en effleurant la surface dans Orphée de Jean Cocteau. Elle décrit à merveille la temporalité si spécifique de ce monde virtuel, un temps suspendu entre des moments de solitude, de désuétude et de rencontre…

Cao Fei creuse, analyse et dépouille son histoire personnelle par l’Histoire. A y regarder de près, l’avatar de Hug Yue possède une certaine ressemblance avec son père, artiste officiel du régime chinois, auquel elle consacre un long documentaire sobrement intitulé « Father » (2005) ainsi qu’une installation. Cette figure paternelle s’insère parfois là où personne ne l’attend. Vu au travers du prisme familial, son « RMB City Installation » de 2007, présentée à la Biennale d’Istanbul, prend une autre ampleur. Elle brouille et joue avec les codes et les symboles chinois qu’elle associe à l’iconographie de la consommation. Cette architecture, parodie d’une mégalopole futuriste, repose entièrement sur des signes, qui s’entrecroisent et se chevauchent les uns les autres, formant les pièces/pièges d’un manège ludique, dénué de toute présence humaine. Utopie ? Peut-être mais les corps au travail sont doubles, qu’elle filme dans leur environnement quotidien puis dans diverses poses de gymnastique dans la vidéo « Whose Utopia » de 2006. La fantasmagorie devient la seule échappatoire à une réalité trop lourde. Argument déjà en germe dans « Cosplayers » en 2004, où elle mettait en scène de jeunes gens costumés en personnages de mangas (pratique relativement fréquente en Asie), dans des paysages urbains. Derrière le ludique et l’aspect conte de fée, ses œuvres distillent intelligemment une vision personnelle, critique, teintée de lucidité sur la Chine actuelle.

cyril thomas 

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