Comment l’industrie du jeu vidéo est-elle affectée et réagit-elle aux catastrophes en série qui ont touché le Japon depuis le séisme du 11 mars dernier ?
« Travaillons dur et ne nous laissons pas abattre par le séisme », disent Phoenix Wright, Miles Edgeworth et Maya Fey, les personnages de « Ace Attorney », sur ce dessin posté sur Twitter par Tatsuro Iwamoto, l’illustrateur de la série. © Tatsuro Iwamoto
< 21'03'11 >
Au Japon, le jeu vidéo rattrapé par la réalité

Et maintenant ? Alors que le dernier bilan du tsunami qui a suivi le séisme du 11 mars dans le nord-est du Japon fait état de plus de 8.600 morts et de 13.000 disparus, que les secours recherchent toujours des survivants sous les décombres, que les magasins d’alimentation sont pris d’assaut, les stations-service à sec et surtout, la situation de la centrale de Fukushima-Daiichi encore très incertaine, le pays du jeu vidéo se remet tout doucement au travail. L’industrie du divertissement (4,3 milliards d’euros du chiffre d’affaires en 2010) est un acteur prépondérant de l’économie et de la culture nippones. Après les premières réactions à chaud, faites de reports ou d’annulations pures et simples de titres trop proches du quotidien traumatisant des Japonais, après les rumeurs et annonces de bonne santé des gamedesigners les plus populaires, la game culture nippone s’organise, notamment à coups de campagnes de dons.

Les premiers jours, il a d’abord fallu parer au plus pressé. Le jeu vidéo « SOS : The Final Escape 4 », qui place le joueur dans la peau d’un survivant à un tremblement de terre, devait sortir ce printemps au Japon, sur PlayStation 3. L’éditeur Irem, jugeant sans doute que cette « réalité augmentée » serait mal vécue, l’a annulé. Sans la moindre explication. De même, le distributeur japonais du dernier film de Clint Eastwood, « Au-delà », qui s’ouvre sur une scène de tsunami de 2004 en Indonésie, a été retiré des cinémas de l’Archipel.

Les reports de sorties se comptent par dizaines, soit qu’ils résonnent un peu trop fort avec la catastrophe (« Motorstorm Apocalypse », un jeu de course dans des décors de fin du monde ou « Yakuza of the End », l’invasion de Tokyo par des zombies, tous deux sur PS3), soit que le moment soit simplement mal choisi d’un point de vue économique pour lancer un produit de divertissement (« Powerful Golf » sur Nintendo 3DS, « Akiba’s Trip » sur PSP et bien d’autres). Les tournées de promotion de jeux à travers le Japon, comme le Monster Hunter Festa, qui devait notamment faire étape à Sendai le 27 mars, ou le Street Fighter IV Tournament, ont elles aussi été renvoyées à des jours meilleurs. Le Tokyo Anime Fair 2011, plus grand rendez-vous du manga, qui devait se tenir la semaine prochaine, a lui aussi été annulé.

Après avoir rassuré leurs fans sur la bonne santé des équipes et des game designers les plus populaires (la rumeur a même couru que l’inventeur des Pokémons, Satoshi Tajiri, était mort), l’industrie japonaise du jeu vidéo veut désormais prendre son rôle dans l’après-tsunami. « Ce que nous pouvons faire, c’est remonter le moral des gens par le divertissement. Alors je vais faire ce que je peux », écrivait jeudi 17/03 sur Twitter Hideo Kojima, le célèbre créateur des jeux « Metal Gear ». Son éditeur, Konami, a d’ailleurs lancé le site « Together Japan », qui centralise les messages de soutien, et annoncé un don de 100 millions de yens en faveur des victimes de la catastrophe. Tout comme Nintendo (300 millions de yens), Sega (200 millions de yens), Sony (300 millions de yens), Square Enix, Namco Bandai (100 millions de yens) et beaucoup d’autres confrères nippons. L’éditeur de jeux coréen NCsoft, lui, a surclassé tout le monde en offrant 500 millions de yens (un peu moins de 4,5 millions d’euros), soit l’équivalent d’un mois de chiffre d’affaires de sa branche japonaise…

D’autres entreprises du secteur ont décidé de reverser une partie de leurs futurs revenus pour l’aide à la reconstruction, faisant naître des interrogations sur le réel désintéressement de leur geste. Capcom a ainsi baissé le prix de son « Street Fighter IV » pour iPhone et promis de donner la totalité de la recette. Level-5, lui, a créé du contenu téléchargeable inédit pour la version mobile de son jeu « Inazuma Eleven », dont l’argent des ventes sera aussi reversé aux victimes du tsunami.

Microsoft en revanche s’est attiré les foudres des internautes, qui l’accusent d’avoir lancé à peu de frais une campagne de pub sur Twitter pour son moteur de recherche Bing, promettant de donner 1 dollar au Japon (dans une limite de 100.000 dollars) à chaque fois que son message annonçant l’opération serait retweeté. La firme de Redmond a finalement arrêté l’opération et présenté ses excuses, promettant qu’elle ferait don des 100.000 dollars prévus.

A présent, chacun tente de trouver sa place et de lutter à sa façon. Dans une tribune au « New York Time »s, l’écrivain et cinéaste Ryu Murakami encourage les uns et les autres à garder espoir. Le chroniqueur scientifique et ancien correspondant dans la région de Fukushima du troisième quotidien japonais, le « Mainichi Shimbun », se fend d’un édito pour démontrer chiffres à l’appui que le risque de contamination dans la capitale est faible. Les éditeurs de jeu vidéo éteignent temporairement leurs serveurs online pour économiser l’électricité. L’artiste nouveaux médias Kazuhiko Hachiya a de son côté bricolé une animation où le héros, Nuclear Boy, a très mal au ventre… Une manière d’expliquer aux petits Japonais ce qui se passe :

Avec ça, tout le monde tente d’oublier (ou de continuer à ignorer) que l’opérateur électrique Tepco et le gouvernement japonais, comme d’autres, n’ont jamais été particulièrement transparents en matière de nucléaire. Et d’espérer que la réalité ne dépassera pas la fiction.

mathias cena 

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