Gerhard Richter « Abstract Paintings », 2006-2007, galerie Marian Goodman, jusqu’au 1/03, 79 rue du Temple, Paris 3e.
Agnès Thurnauer, « Portraits grandeur nature », galerie Anne de Villepoix, jusqu’au 22/03, 48 rue de Montmorency, Paris 3e.
Marc Desgrandchamps, galerie Zürcher, jusqu’au 12/03, 56 rue Chapon, Paris 3e.
Agnès Thurnauer « Fuck the market n°7 », 2008, carré comté et acrylique sur toile. © Galerie Anne de Villepoix
< 29'02'08 >
Attention, peinture fraîche

On la disait moribonde, dépassée par la photo, la vidéo, les supports hybrides… La peinture en 2008 n’est pas qu’une valeur refuge pour ventes aux enchères, comme en témoignent trois expositions parisiennes du moment. Gerhard Richter (né en 1932), Agnès Thurnauer (née en 1962) et Marc Desgrandchamps (né en 1960) n’ont a priori rien en commun, ni l’âge, ni le motif iconographique, ni même le parcours, sauf d’utiliser les coulures chères à Joan Mitchell. Lignes colorées, rideaux ou matérialisations de pleurs teints, elles scandent la surface picturale tout en brouillant la lecture de l’œuvre. Invitations à la contemplation, leurs toiles manifestent une conscience du monde contemporain.

Gerhard Richter en politique

L’histoire et le politique sont toujours présents chez Gerhard Richter, figure majeure de l’art contemporain allemand, ne serait-ce que dans deux des titres de ses œuvres, « Haggadah », référence explicite au texte hébraïque retraçant la fuite en Egypte, et « September », qui dépeint la chute des tours du World Trade Center. Fumées, traces, cendres… Ses toiles s’interprètent comme des appels parfois vains vers un extérieur inaccessible, où l’indicible fait loi. La galerie Marian Goodman regroupe ses œuvres les plus récentes (huile sur toile, huile sur aluminium, huile sur papier), comme un post-scriptum à la rétrospective que lui consacre le musée Frieder Burda à Baden-Baden jusqu’en avril.

L’émotion est là, mais comme teintée d’inquiétude, entre gris clair et gris foncé. « Netz » est l’œuvre qui offre une clé de lecture : le maillage de lignes colorées donne un autre rythme aux toiles. La même grille s’estompe ou réapparaît sous d’autres formes dans l’ensemble des toiles présentées. Dans la série Weiss (que les « Graue Bilder » avaient précédée à partir de 1967), le blanc s’obscurcit progressivement pour se transformer en zone grisâtre, déjouant ainsi le piège de la reformulation.

Agnès Thurnauer et le système médiatique

A la galerie Anne de Villepoix, Agnès Thurnauer joue avec la tête de mort, cet élément récurrent de l’histoire de la peinture. Depuis les années 80, le motif est passé au rang d’icône, puis notre époque si post-moderne en a fait un de ces produits dérivés, accessoire de mode ou arty, à l’instar de la pièce « For The Love Of God » de Damien Hirst, crâne serti de diamants qui fit son petit effet dans le milieu de l’art contemporain l’été passé. Agnès Thurnauer, elle, met les pieds dans le plat en nommant sa série « Fuck the Market », ramenant la tête de mort à son point de départ, ce symbole iconographique « qui tue ». La couleur est chez elle un rideau de pleurs ou de rage où les coulures, toutes différentes, focalisent l’attention, jusqu’à cacher le crâne en arrière-plan. L’artiste française en fait la vanité des vanités du marché de l’art contemporain (rejoignant en cela certaines photos de Joel-Peter Witkin). « Fuck the Market » s’apparente à un puissant coup de poing qui joue avec l’imagerie publicitaire et l’affiche, en la détournant via le médium de la peinture. Parodie, caricature, la simplicité du motif et de la démarche cache autre chose. L’inscription « Fuck the Market » s’interprète comme le dernier cri d’un publicitaire en manque de subversion. Subversive, Agnès Thurnauer ne l’est peut-être pas. Sa démarche plastique opère en tout cas par assimilation, en s’inspirant des signes et des symboles qui jalonnent l’univers médiatique quotidien, comme elle l’avait fait avec les canons des artistes post-conceptuels, en féminisant le patronyme d’artistes masculins….

Marc Desgrandchamps et l’environnement (paysage et médiatique)

Dans une veine plus réaliste, Marc Desgrandchamps pose son regard sur le paysage naturel et médiatique contemporain. De toile en toile, la réalité de ses personnages et paysages, par les jeux des coulures, se fictionnalise progressivement. La galerie Zürcher à Paris propose un ensemble d’œuvres inédites où la transparence et les coulures matérialisent physiquement l’espace entre deux choses sur la toile, entre deux plans, entre réalité et imaginaire pictural. Il s’en explique ici et .

En 2006, à l’espace 315 du Centre Pompidou, il concevait un dispositif favorisant une lecture polysémique de ses images. Cette fois, c’est le passé qu’il manipule et façonne à l’aide de la peinture pour créer un univers bleu-vert, un monde aquatique où les architectures et les personnages se fragilisent sous les effets colorés. Marqué par l’univers cinématographique et Giorgio De Chirico, Marc Desgrandchamps construit un monde de l’entre-deux où personnages et animaux n’ont que peu d’accroches : ici, pas de place pour la certitude, tout est suspens, fragilisé, presque en cours de désintégration…

cyril thomas 

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