Interview des fondateurs d’Art Book Magazine, la première plate-forme de livres et catalogues dédiés à l’art pour tablettes iPad. L’application est gratuite, certains des livres également. Une bonne alternative pour les courses de Noël de dernière minute.
"Art, Book, Magazine" propose un catalogue de livres numériques d’artiste pour tablette iPad. © DR
< 24'12'12 >
« Art, Book, Magazine invente le livre d’artiste numérique »

Si vous faites partie des retardataires patentés en courses de Noël, si la vague consumériste de saison vous affole, l’alternative du livre numérique d’artiste est pour vous ! Les fondateurs d’Art Book Magazine (ABM), un collectif d’artistes et graphistes, ont imaginé et conçu la plate-forme de diffusion de livres d’art pour l’iPad d’Apple. Art Book Magazine est une application pour ipad gratuite, entre librairie d’art et maison d’édition numérique, lancée fin 2011. Alors que les tablettes et autres liseuses sont en plein boom, Poptronics est allé poser quelques questions à ces éditeurs d’un nouveau genre, qui s’attaquent au début 2013 à une diffusion internationale en anglais (avec des livres bilingues, donc).

Une définition d’Art, Book, Magazine en quelques mots ?

Librairie/bibliothèque/lecteur/diffuseur de livres et de revues d’art contemporain et alentour.

Pourquoi une plateforme de livres numériques spécialisée dans l’art ?

Parce qu’il n’y a plus d’espace consacré à l’art contemporain dans les librairies, en dehors de quelques beaux livres liés à l’actualité et aux expositions vedettes. N’ayant plus de débouché, il n’y a plus d’économie, donc plus de livres, ou bien des éditions fantômes que l’on ne peut trouver que dans les institutions éditrices, les galeries ou les salons des éditeurs indépendants. Face à cette disparition à venir de trop nombreuses éditions inaccessibles et sacrifiées, nous avons pensé que le numérique pouvait être un espace de persistance pour ces éditions.

C’est un milieu que nous connaissons bien : l’équipe est composée d’éditeurs, de graphistes, d’artistes… Nous avons pu fédérer rapidement un noyau dur, commencer à diffuser et éditer un nombre important d’ouvrages. Le projet étant bien sûr patrimonial en donnant accès à des livres qui nous paraissent essentiels pour ceux qui s’intéressent à l’art contemporain, comme les deux derniers catalogues de la Biennale de Paris dont le premier est introuvable dans sa version papier. Mais en accueillant des livres dont la sortie est simultanée avec l’imprimé, et avec des contenus complétés comme le catalogue “Explorateurs”, édité par le CNAP, dont la version numérique propose une sélection d’œuvres plus importante ainsi qu’une navigation par hyperliens. Ce catalogue est gratuit pendant quelques mois.

Quelle passerelle entre l’édition papier et l’édition numérique dans votre bibliothèque ?

Tout est possible ! Nous proposons des livres qui sont disponibles en version imprimée à la demande (catalogue “Fréquences” présentant une année d’expositions au Transpalette de Bourges), des livres que l’on peut trouver en librairie, d’autres sur les plateformes de vente, d’autres uniquement numérique. Nous sommes diffuseur et nous présentons une sélection d’ouvrages, donc nous discutons avec les éditeurs, les auteurs… Le prix unique du livre garantit une certaine équité. Nous réfléchissons avec des centres d’art à des versions numériques de leurs catalogues d’exposition dans lesquels il y aurait du son et de la vidéo, ce que ne permet pas l’édition traditionnelle… On peut aussi jouer avec des temporalités différentes, des contenus évolutifs…

L’édition papier a-t-elle montré son intérêt pour Art, Book, Magazine ?

Pas vraiment :) Ils sont stressés et repliés sur un rocher qui se réduit avec la marée numérique… Ils cherchent à l’horizon une île… Mais la tempête gronde… C’est une caricature, mais il y a une part de vérité. Certains comprennent rapidement notre projet et notre potentiel - et ce n’est pas une question de taille ou de genre - mais plus une question de vision et d’intérêt pour le numérique, que ce soit dans son acceptation ou dans son exploration : les éditions du Palais de Tokyo sont venues nous voir dès notre lancement alors que certains petits éditeurs indépendants que nous connaissons refusent pour l’instant de travailler avec nous - prétextant une réflexion nécessaire à leur passage au numérique ou un manque de temps assez hypocrite… Le passage au numérique se fait aujourd’hui trop souvent par défaut. C’est dommage.

Il faut le voir comme un allié, la possibilité d’une offre qui se dédouble et exploite les différents potentiels, qui permet une logistique différente et une répartition nouvelle des investissements : une version en français imprimée et numérique, une version en anglais numérique… La possibilité de présenter son livre avec des extraits et une fiche détaillée, de le proposer à la vente sur une période de temps plus longue qui peut rebondir sur les évènements artistiques.

Économiquement, le projet d’Art, Book, Magazine est-il viable ? À quelle échéance ?

C’est une question à laquelle il nous est difficile de répondre et que nous n’avons volontairement pas voulu nous poser… Sinon, nous ne nous serions pas lancés dans cette aventure. Art, Book, Magazine existe depuis un an et il nous avait fallu une autre année pour le développer, à cinq en travaillant quasi à mi-temps en comptant les nuits… Ce projet est nécessaire plus que viable aujourd’hui.

La France est un pays en retard sur l’achat du livre numérique. C’est pourquoi nous allons dédoubler la plate-forme en anglais. Nous aimerions atteindre un équilibre d’ici deux ans, peut-être gagner un peu d’argent d’ici trois ans… Après, tout est discutable. L’enthousiasme que provoque Art, Book, Magazine auprès de certains lecteurs, mais aussi d’éditeurs et surtout auprès d’institutions comme les musées et les galeries, nous permet d’envisager le futur avec une forme de sérénité.

Il faut tenir maintenant. Nous avons reçu une bourse de la part de la Région Ile de France qui nous a permis de développer la version anglaise et nous espérons intéresser le CNL. Nous n’avons pas encore de concurrence, que ce soit en France ou dans le monde… C’est assez incroyable mais normal : le développement technologique est très complexe et coûteux, et l’édition d’art n’intéresse pas les grands groupes mondialisés. Car la forme numérique privilégie le contenu à l’objet… La monographie de deux kilos avec des centaines de reproductions qui était très chic sur une table basse n’a pas le même sex-appeal dans une tablette.

Le livre numérique définit-il selon vous une nouvelle grammaire, une nouvelle écriture, une nouvelle lecture ? Les trois ?

Les trois et aucune ou d’autres… Nous sommes au début d’une aventure qui touche un des fondamentaux de la Culture : le LIVRE. Il faut donc à la fois progresser avec justesse, précaution et respect, mais aussi casser les codes et profiter de la technologie. Un bon livre imprimé reste un bon livre en numérique. Ce n’est pas la peine de lui ajouter des artifices ou des décors dont il n’a pas besoin : on peut le conserver à l’identique sous la forme d’une lecture simple. Ensuite, à nous, concepteurs et éditeurs, de jouer avec les frontières de la narration, d’incorporer du son ou des images, de travailler un livre dans le temps - en le complétant ou en le réduisant à l’envi. Nous avons l’expérience du fiasco du CD-Rom…

Tout est à inventer et rien n’est plus fort qu’une page simple avec un texte de qualité, une belle et lisible typographie, une image sélectionnée avec intelligence et légendée avec soin. Le numérique impose l’exigence et la qualité, l’objet ayant disparu - que ce soit dans le fond mais aussi dans la forme. Le graphisme et la création d’interface sont des outils nécessaires au livre numérique… Le livre numérique peut se feuilleter mais il doit avant tout être conçu pour être lu…

L’interactivité sur les tablettes numériques privilégie le mode tactile. En matière d’édition d’art, quelles sont les possibilités que vous avez pu explorer ? Lesquelles sont encore à défricher selon vous ?

Aujourd’hui, le développement demeure complexe et demande beaucoup de temps. Les outils ne sont pas au point. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons dû développer notre propre lecteur, afin qu’il puisse s’adapter à nos exigences de lecture et de design, et présenter les livres de la façon que nous le voulions. L’ePub de base est une catastrophe pour le public : c’est parfait pour lire des textes simples, mais dès qu’il y a des images ou de la maquette… c’est terminé…

Nous avons commencé par réfléchir à la manière de proposer des livres numériques, à l’interface de notre librairie et aux outils de présentation… Un travail important, des choix forts, une exigence de contenu. Ensuite nous avons conçu un lecteur qui permet des fonctionnalités de base que nous allons développer au fil des projets : hyperliens, lecteur son, vidéos, maquette « liquide »… Tout est à faire…

Pensez-vous que le livre numérique développe une expérience de lecture différente des écrans connectés au réseau ? Est-ce la tablette ou bien le format (livre numérique) qui fait la différence ?

C’est très différent. La tablette est un peu comme un téléphone : un espace personnel. À terme chacun aura la sienne - ce qui n’est pas une perspective totalement réjouissante - et chacun construira son environnement avec ses livres, ses films, ses jeux… Ce sera moins un outil de travail que d’échange et de loisirs… Un espace culturel personnel.

Pourquoi avoir choisi la plateforme d’Apple ? La solution technique que vous avez développée est celle d’un lecteur pour iPad, et son format est propriétaire, n’est-ce pas se couper d’un marché potentiel de lecteurs ?

« Marché »… Grand mot… Limite gros mot… Pour l’instant, nous nous concentrons sur l’iPad car il est utilisé par un public proche de nous (artistes, designers) et parce que nous avions les compétences en programmation. Il n’y a qu’un format d’écran, ce qui nous permet de ne pas changer notre interface. Bien entendu, nous aimerions couvrir tous les standards. Cela demande du temps et des moyens, que nous n’avons pas aujourd’hui.

Quelle est la proportion entre livres/revues, gratuites et payantes dans la bibliothèque d’Art, Book, Magazine ? Comment se décident les choix ?

Il y a moins de revues, mais elles ont pour certaines pas mal de numéros… C’est en mouvement constant, mais il y a plus de livres. Nous sommes très vigilants à propos des “gratuits” car rien n’est véritablement “gratuit” et nous devons envisager l’économie numérique à terme. Et sans économie, il n’y a aura plus de livres. Nous appliquons une règle simple : ce qui est gratuit imprimé est gratuit en digital… Ce qui est payant reste payant… Il y a parfois de rares exceptions qui jouent sur la temporalité… Ainsi un numéro en cours d’une revue gratuite peut devenir payant quand sort le numéro suivant. Un catalogue peut-être gratuit le temps d’un évènement, mais cela doit-être alors le cas sur toutes les plateformes.

Il faut que le public prenne conscience qu’un livre demande beaucoup de travail et de temps… Et qu’il faut rémunérer les auteurs, le diffuseur, etc. Nous conseillons cependant une baisse importante du prix par rapport à l’édition papier… Tout est négocié avec les éditeurs et les auteurs en fonction du projet et du contexte.

Pourquoi ne pas donner en prévisualisation quelques pages des livres numériques sur votre site internet ? Dans la mesure où la proportion de détenteurs d’iPad est minime par rapport au nombre d’internautes, avez-vous pensé à diffuser ces contenus différemment sur les autres plate-formes ?

Nous privilégions l’accès par l’iPad… Les extraits sont sur l’iPad… Car de toutes façons, le livre n’est consultable que sur cette tablette. Nous voulons éviter que les gens imaginent pouvoir lire/acheter les livres via internet. c’est un vrai choix que nous assumons. Nous offrons des outils de lecture et de partage liés aux fonctionnalités de la tablette que nous pourrions développer sur le site internet…

Quelles sont les meilleures “ventes” sur Art, Book, Magazine ? Quels retours avez-vous eu des premiers lecteurs ?

Pour l’instant, nous avons un écart très important entre les gratuits et les payants… Plusieurs centaines pour certains gratuits et quelques dizaines pour les payants. Les chiffres sont croissants. Cela commence à être intéressant chez certains éditeurs qui nous ont confié plusieurs titres, mais ils est clair qu’il faut regarder cela à une autre échelle que les ventes physiques qui se jouent généralement le premier mois. Nous avons des années devant nous… Certains titres inédits ou introuvables ont un bel avenir.

Nous sortons par exemple un catalogue gratuit pendant une période de temps limité, produit par le CNAP, autour de la très belle exposition d’art contemporain “Explorateurs”. C’est un livre remarquable tant du point de vue de son contenu et de la sélection des artistes, mais aussi du design et de la navigation par hyperliens. Il est clair que cette version - au contenu étendu - va dépasser très facilement la version papier en achat/consultation.

Les premiers retours sont enthousiastes. Nous avons eu quelques bugs au début et très peu de retours agressifs, mais au contraire des mails pour nous prévenir et nous poser des questions. Notre plate-forme, de par sa sélection, ses fonctionnalités et son design, souligne notre engagement et notre passion pour les livres. Notre projet n’est pas un coup, ni un leurre… Nous défendons des valeurs comme nous défendons les éditeurs et les auteurs indépendants. c’est à notre façon une petite T.A.Z… Une utopie loin de tout business plan et investisseurs… Nous tentons une expérience de proximité et de qualité…

Il est maintenant important pour nous que le public nous suive et participe au projet en achetant des livres et en nous faisant connaître, que les éditeurs indépendants avec qui nous ne travaillons pas nous fassent confiance et nous rejoignent… Que nous envisagions un réseau de compétences et que nous mettions en place une économie du livre numérique où chacun aura sa place.

Quels sont vos projets ?

Nous allons doubler l’application avec une version en anglais début janvier. Nous aimerions nouer des partenariats avec des institutions comme des centres d’art ou des musées afin de développer des éditions spécifiques numériques, et travailler sur le long terme avec eux pour proposer des projets ambitieux qui ne soient pas que de simples visites guidés ou la version PDF de leur catalogue papier. Nous aimerions aussi travailler sur des projets expérimentaux, inventer le livre d’artiste numérique… Diffuser des livres qui ne sont plus disponibles ou quasi invisibles… Mais cela demande beaucoup de temps… C’est aussi aux éditeurs et aux institutions de se positionner vis à vis de leur catalogue, aux auteurs d’exiger une diffusion numérique…

Nous imaginons un catalogue ouvert et riche, où l’on pourra trouver des éditions en amont des expositions qui s’augmenteront une fois l’exposition en place et qui la dépasseront dans le temps en terme de contenu… Nous spécialiser dans les pratiques difficiles à documenter en papier : la performance, les installations, les live… Mais aussi les cultures underground avec un département sur la musique expérimentale, le black métal… Les utopies et les mouvements révolutionnaires… Les pratiques artistiques en dehors de l’art… Mais aussi les éditions plus grand public des lieux dont nous apprécions la programmation. Et bien entendu, nous développerons la partie patrimoniale… Il y a beaucoup de livres que nous rêvons de diffuser…

Recueilli par annick rivoire 

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< 1 > commentaire
écrit le < 14'03'13 > par < leifurarnarson pM5 gmail.com >
Sympa mais pas glop qu’il y ait des financements publics pour des ebooks plutôt chers et uniquement disponibles sur iPad ... tout est dit au niveau du public visé.