Un lâcher de ballons à Rome : une jolie vidéo, un happening artistique agréable à l’œil, mais peut-être pas aussi inoffensif qu’il y paraît.
Des centaines de milliers de ballons dévalent les marches de la place d’Espagne à Rome, une cascade très cinématographique pas uniquement destinée au plaisir des yeux. © DR
< 17'01'08 >
Activistes de la balle à Rome

Dans le flot quotidien d’images dont le Net se nourrit avec boulimie, il y a celles qui font rire, celles qui font peur et celles qui font rêver. Dans cette dernière catégorie, il y en a une, apparue hier, qu’on aurait vraiment aimé adorer.

Rouges, verts, jaunes et bleus. Des centaines de milliers de ballons multicolores dévalent les marches de la place d’Espagne à Rome, à la grande surprise des badauds. En quelques minutes qui semblent suspendre le temps, une irruption éphémère, incongrue et grâcieuse. La parenthèse se referme rapidement : les forces de l’ordre établissent un cordon de sécurité autour du site touristique, les auteurs du lâcher de ballons sont immédiatement arrêtés et les éboueurs se mobilisent pendant plusieurs heures pour dégager le lieu... L’image reste belle, et le geste poétique. L’événement insolite et inoffensif fait l’objet de dépêches d’agences et commence à faire le tour de la Toile sans plus de commentaire ; la vidéo semble promise à un joli succès (peut-être similaire à celui rencontré par cette pub pour Sony il y a deux ans, qui faisait aussi dans l’avalanche de ballons).

A l’origine de ce plaisant happening polychrome, Graziano Cecchini, 54 ans, déjà connu des services de police pour avoir teint en rouge en octobre 2007 les eaux de la Fontaine de Trévi, expliquait hier à la télévision italienne qu’il utilisait « l’art, si on veut utiliser le mot art, pour mettre l’accent sur notre malaise ». Malaise, quel malaise ? On n’en saura pas plus. Ce qu’omettent de préciser la plupart des sources qui font état de l’affaire (hormis les sites italiens), c’est que Graziano Cecchini se revendique du mouvement futuriste (avant-garde artistique du début du XXe siècle ayant évolué art officiel sous Mussolini) et qu’il gravite depuis des années, militant ou sympathisant, dans les mouvements de l’extrême-droite italienne, MSI (Mouvement Social Italien, issu du Parti Fasciste interdit après la guerre), Alleanza Nazionale et Forza Nuova.

L’an dernier, devant la fontaine de Trévi colorée en rouge, des tracts signés du collectif « Ftm AzioneFuturista 2007 » revendiquaient, dans la pure tradition futuriste (bizarre d’accoler ces deux mots), « une nouvelle conception violente de la vie et de l’histoire, qui exalte la bataille contre la paix et les lèches-culs des pouvoirs frelatés, esclaves du marché global ». Ce groupe disait vouloir s’opposer « à tout et à tous avec un esprit de lutte et de saine violence » et faire de « cette société grise et bourgeoise, un triomphe de couleur. Nous précaires, vieux, malades, étudiants, travailleurs, nous arrivons avec le vermillon pour colorer votre grisaille », ajoutaient-ils, faisant là allusion au festival de cinéma alors en cours dans la capitale : « Vous vouliez seulement un tapis rouge, nous voulons une ville entièrement en vermillon. »

Méthodes activistes, moyens capitalistes : le lâcher de ballons aurait coûté 20000 euros, selon « la Repubblica ». Si on regarde les images de l’arrestation de Graziano Cecchini, on le voit en homme-sandwich sponsorisé par Zig.it, un site italien de sonneries pour portables, et CronacaQui.it, la version en ligne du quotidien éponyme de Milan et Turin, qui va jusqu’à revendiquer la coloration de la place d’Espagne. Un rappel à la réalité doublé du mercantilisme ordinaire : à peine la manifestation terminée, on retrouvait des ballons vendus aux enchères sur e-bay !

Quand la droite musclée et radicale se met à verser dans le happening artistique, ludique et poétique, quand elle récupère (comme par exemple aux Etats-Unis, le réseau Bureaucrash « des activistes de la liberté »), les méthodes, l’esthétique et l’imagerie même de la contre-culture, comment retrouver ses moutons, ses repères et son latin ?

Et c’est malgré nous que l’avalanche de ballons nous fascine...

julie girard 

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